Vingt ans après Aix-en-Provence, le
metteur en scène canadien Robert Carsen propose une nouvelle vision de Die
Zauberflöte. Tamino et Pamina sont mis à l'épreuve par les parents de la jeune
fille. Sarastro et la Reine
de la Nuit forment
ici un couple complice. Ils infligent à leur pupille et à son fiancé diverses
épreuves. Au delà de voir s'ils s'aiment vraiment et peuvent accéder au mariage,
il s'agit surtout ici de les affranchir contre la mort. Diverses épreuves sont
ainsi programmées, tantôt dans un bois, tantôt dans une clairière, tantôt sous
terre. D’une part, les fiancés devront y affronter solitude, désamour,
trahison, silence. D’autre part, ils seront confrontés à l’obscurité, aux
envies suicidaires, et entourés de tombeaux effrayants, sous l’œil méchant de
Monastatos et ses sbires, les fossoyeurs de ce cimetière en pleine nature. On
l’aura compris, le rite initiatique maçon cède la place ici « au comment
devenir adulte ». Pour y arriver, les jeunes amants sont entourés des
« Knaben », leur conscience positive, vue comme seule force de salut…
et de la musique de Mozart. Robert Carsen nous a habitués à des
spectacles aboutis, bien réglés et fouillés. C’est encore le cas ici. Il
s'entoure d'une équipe de véritables magiciens qui transforment son propos en
un conte merveilleux : sublimes éclairages de Peter van Praet, décors inventifs
de Michael Levine, complétés par les projections vidéos évocatrices du cycle
annuel de la forêt (ou du portrait vivant de Pamina) de Martin Eidenberger. Les
beaux costumes actuels de Petra Reinhardt nous font encore plus entrer dans ce
monde imaginaire où les jeunes tourtereaux (blanc de la pureté) se perdent dans
la forêt épaisse, où Monostatos et ses acolytes incarnent la mort (noir), où
les trois garçons (excellents solistes du Aurelios Sängerknaben Calw) doublent
Pamina, Tamino et Papageno. Les protagonistes évoluent les yeux bandés. En
pleine lumière printanière, le dénouement final parait d'autant plus salvateur.
Pamina et Tamino peuvent accéder (voir) à la vie à deux.Sur papier la distribution
s'annonçait prestigieuse jusque dans les petits rôles avec une affiche
prometteuse de stars. On attendait beaucoup de la prise de rôle de Simone
Kermes en Reine de la Nuit. A
quatre jours de la première, annoncée souffrante, celle-ci fut remplacée par
Ana Durlovski venue de Stuttgart et précédée d'une réputation flatteuse. Un an
avant ses débuts dans le même rôle au Metropolitan de New York, l'occasion lui
était déjà donnée de briller dans ce rôle dans une grande salle. Force est de
constater que la voix manque de projection en raison d'un appui du souffle qui
empêche le son de s'élever. En revanche les notes sont là, les aigus
parfaitement en place. Confier les trois dames à Annick Massis, Magdalena Kožena
et Nathalie Stutzmann pouvait paraître très alléchants. L’ensemble cohérent
auquel ont était en droit de s’attendre,
se bousculait tant rythmiquement qu’au niveau de la diction. La voix très
particulière de chacune, mêlée à une intonation parfois aléatoire n’ont fait
qu’accentuer ce constat de désordre. En Pamina, Kate Royal, douce et juvénile à
souhait, offre malheureusement des aigus instables et des phrasés manquants de
courbes. Prometteuse, Regula Mühlemann, dans le rôle de Papagena, jeune voix
agréable et fraîche. Le meilleur devait venir du côté des
hommes. Le vétéran José Van Dam livre en Sprecher une leçon avec un chant ample
et stable, faisant de sa scène le grand moment poétique de la soirée. Le couple
Tamino et Papageno au jeu incandescent, à la précision rythmique, chantant
juste et d'une voix puissante. Avec un investissement scénique assumé, ils livrent
tous deux une prestation irréprochable. Le ténor Pavol Breslik campe un Tamino
vaillant aux aigus lumineux et à la musicalité suave. Michael Nagy, déjà
applaudi ici en Escamillo, campe un Papageno bonhomme, drôle, sympathique, doté
d’un magnifique timbre chaud et d’une ligne vocale fluide. Dimitry Ivashchenko
incarne un Sarastro très humain et en donne une prestation honnête. James
Elliott propose un Monostatos à la voix jeune et chatoyante, ce qui contraste
avec son personnage, mais le rend d’autant plus touchant lors du final.
Excellents aussi les petits rôles masculins, Andreas Schager, Jonathan Lemalu,
Benjamin Hulett et David Jerusalem. Le
Rundfunkchor Berlin est digne d’éloges. En particulier, les nombreuses parties
dévolues aux pupitres masculins sont parfaitement chantées. Dans le contexte de ce jeu entre la
vie et la mort imaginé par Robert Carsen, la fosse d'orchestre devient fosse
commune où tous les regards convergent à la recherche d’un de ses plus
illustres habitants, Mozart. La profondeur de ce cratère est telle que le son
produit par les Berliner Philharmoniquer y est quasiment lointain, voire étouffé,
sans que pour autant on n’en perde l'articulation, les phrasés, la précision,
les solos instrumentaux (sublime flûte), la pulsation. Simon Rattle choisit ici
des tempi lents et une battue sans nervosité. Pourtant nous avons dénombré de
nombreux décalages entre un plateau assez nerveux, un soir de première, et un
orchestre qui fonctionne comme une Rolls Royce. C'est lui le grand triomphateur
de la soirée. Il quitte Salzbourg et son festival de Pâques après tant d’années
de fidélité pour commencer ici une nouvelle ère sous l'égide du plus universel
des salzbourgeois, Mozart. Sous l’égide du compositeur sorti de cette obscure fosse,
le final est chanté par le cast entier, une flûte dorée à la main. La musique
et l’amour ont triomphé !
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