Suzanne Daumann
Comment mettre en scène un opéra
aux lectures si multiples et variées ? Comment ne pas tomber dans le piège
de l’originalité à tout prix ? Pour la production du Théâtre
National de Lorraine, repris à Rennes en Mai/Juin 2012, Jean Liermier a
trouvé une réponse simple, élégante et efficace. Sa mise en scène suit
simplement le livret et se passe de toute gesticulation inutile, acrobaties et
strip-tease. Il crée une ambiance années 20 où le comte et la comtesse
d’Almaviva forment un couple jeune, élégant et glamour, et le couple Susanna –
Figaro sont des domestiques classiques, peu élégants à première vue dans leurs
uniformes, robe bleue rayée avec un petit tablier blanc et la coiffe des femmes
de chambres pour Susanna, habit noir avec veston rouge, casquette de chauffeur
à l’occasion pour Figaro. Les costumes de Werner Strub marquent ainsi
tout de suite la distance sociale que l’intrigue et surtout la musique
effaceront ensuite.
Raffaella Milanesi incarne
la femme blessée et orgueilleuse qu’est la comtesse d’Almaviva avec passion et
fierté. Élégante du doigt de pied jusque dans les pianissimi aigus d’une
finesse à nous faire dresser les cheveux dans la nuque, elle montre en même
temps des émotions simples qui la rendent touchante et humaine. Elle joue tout le deuxième acte en nuisette
de soie sans perdre une miette d’assurance, et sans que le comique du
formidable final en pâtisse le moindre du monde. Ce final est mené avec le brio
et le tempo de la comédie de salon, les gags et les jeu de mots fusent, on en
rit aux éclats, on est ému par le début de réconciliation, on en veut à Figaro
de tout gâcher et on rit à nouveau de l’apparition d’Antonio (très drôle en
chapeau de cuisinier et une belle voix : Jean Segani) avec ses œillets et ainsi de suite - tout en admirant la finesse de la composition
qui est merveilleusement servie par l’Orchestre
de Bretagne. Dirigé par Ernesto
Martinez Izquierdo avec esprit et intelligence, l’orchestre est protagoniste à part entière qui s’amuse,
commente, soupire ou rit, qui ajoute cette dimension supplémentaire à l’œuvre
que nous aimons tant et encore et encore.
Susanna est interprétée par Caterina di Tonno, à la voix douce et
cristalline. Sa Susanna est une femme
simple, douée d’un optimisme à toute épreuve, drôle et émouvante en même
temps. Ainsi le duo du troisième acte,
ce manifeste de la solidarité féminine, fonctionne à merveille, malgré ou
peut-être à cause du contraste entre la comtesse, élégante et égaré dans robe-pantalon verte très années 20, et
Susanna qui porte une simple robe de mariée blanche avec quelques grandes
tâches rouges, un peu naïve. La mezzo-soprano Hélène Delalande, à la
voix ronde avec presque un peu de métal masculin, grande et élancée, campe un
Cherubino crédible et adorable, tout en maladresses et émois amoureux. On
aurait voulu entendre davantage la voix riche et pleine de Kathleen
Wilkinson – dommage que Marcellina ait été privée de son aria… Tout comme Léonard
Pezzino (Don Basilio) d’ailleurs, dont le ténor clair et un peu fanfaron
rend le fourbe maître de chant tout de suite crédible. Vincent Billier
campe un Don Bartolo grandiloquent et pourtant humain (bien que l’on ne
comprenne pas trop s’il est notaire ou médecin dans l’histoire).
Le comte d’Almaviva ici est un
homme élégamment simple : comme un enfant, il veut ce qu’il voit, et
surtout ce qui est aux autres, et donc, là, il veut Susanna. Comme un enfant,
il ne comprend pas pourquoi il ne peut pas avoir ce qu’il veut. Kevin Greenlaw
donne beaucoup de profondeur á ce personnage, qui se trouve dupe à chaque
tournant de scène : élans amoureux, incrédulité, colère – il est crédible
dans tous ces changements, et il chante son grand aria avec beaucoup d’énergie
et finesse. Figaro est interprété par Yuri Kissin, dont le talent de
comédien semble dépasser les talents de chanteur, ses premiers airs sont
franchement forcés et un peu secs, bien qu’il trouve sa voix plus tard et l’air
du final est bien plus musical. Son Figaro semble un peu pâle à côté d’une
Susanna pleine d’énergie et de bonne humeur.
Dans les ensembles cependant, toutes les voix sont à la hauteur, et dans
les récitatifs, il est admirable de finesse – comme tout le monde d’ailleurs et
comme le clavecin d’Alessandro Bicci qui les accompagne avec beaucoup de
subtilité, suivant chaque mot et chaque intonation. Subtil et nuancé aussi le
chœur de l’Opéra de Rennes, sous la direction de Gildas Pungier.
Les décors de Philippe
Miesch sont encore des variations du thème de la simplicité élégante:
le premier acte se passe dans le quartier des domestiques, dans une ambiance
qui n’est pas sans rappeler la série Anglaise « Maîtres et Valets». Simple
et très élégante, la chambre de la comtesse, où se déroule le deuxième acte :
Un lit, trois portes, une fenêtre qui laisse rentrer une lumière tellement
ensoleillée que l’on croit sentir la brise qui agite les branches au-dehors (Jean-Philippe
Roy est responsable d’un beau travail sur les lumières), un perroquet où
pend la robe de chambre de la comtesse, et sa guitare : voilà tout. Le troisième acte a pour décor la
salle des pas perdus du château : deux grandes doubles portes blanches, un
banc en velours vert, un cendrier, un ascenseur à plats. Le comte chantera son
air, assis sur ce banc, la comtesse le sien un peu plus tard, Susanna y écrira
la fameuse lettre au comte, et le couple seigneurial y sera assis pour assister
aux noces des autres, tout en se foudroyant du regard. Le final enfin est joué dans une
ambiance sombre à l’arrière-plan festif : la cave à vin du château, d’où
l’on voit l’escalier qui mène au jardin, décoré de lampions orange. Ce final
est encore mené avec un tempo endiablé sans rater le moindre virement. Il vaut
bien le vrai petit feu d’artifice qui viendra clore cette folle journée, et
l’on quittera la salle satisfait d’une belle soirée. Dommage seulement qu’une partie
du public choisit de pénétrer dans la salle alors que l’ouverture est passée et
l’on aurait préféré suivre les discussions de Figaro et Susanna à celles des
voisins qui s’installent.
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