Foto Crédit: Edouard Brane
Suzanne Daumann
Il pleut des cordes lorsque j’arrive à Rennes. Rossini a Napoli, Spinosi à Rennes ont donné rendez-vous pour une œuvre rarement donnée, écrite en 1816 : les troupes napoléoniennes avaient quitté Naples, le roi Bourbon Ferdinand IV était de retour. Pour fêter les noces de Maria Carolina, la petite-fille de celui-ci, avec le duc de Berry, on avait donc commandé une cantate sur un thème mythologique à Rossini. D’abord, Jean-Christophe Spinosi et l’Ensemble Matheus proposent la symphonie n°82 d’Haydn, ouverture idéale pour ces noces, joueuse et rythmée. Et Spinosi est Spinosi est Spinosi, et quand Spinosi est Spinosi, c’est la fête. L‘on danse et l’on joue et s’amuse. Il joue avec Haydn, il se joue du public avec un final trois fois annoncé et trois fois suspendu. Il danse sa partition, transforme des pupitres en percussions improvisées – et l’ambiance de fête emplit, petit à petit, la salle. Pas d’entracte, quelques changements dans l’agencement des pupitres, le chef est de retour. Tiens donc, pas de pupitres pour les solistes, pas d’estrade pour le chœur ? Mais déjà retentit le prélude aux noces, léger, rythmé, italien à souhait. Le chœur arrive, et tout s’explique : L’habillement un peu inhabituel de l’orchestre, avec des robes multicolores pour les dames, costume et cravate pour les hommes, le manque de pupitres, d’estrades. Le chœur arrive de la salle, en discutant et riant : oui, c’est la fête, ce sont les noces ! Les choristes aussi sont en costume de fête, individuel et coloré. Et la fête suit le cours de la cantate. Cinq solistes excellents se relayent avec l’Ensemble Mélisme(s) tout aussi excellent pour célébrer les amours de Thétis et Pélée, parents d’Achille, et bien sûr représentants du couple princier. Cinq chanteurs encore jeunes, frais et spirituels, qui ont des voix merveilleuses et le sens de la scène. Nul besoin de comprendre au mot près le livret, nul besoin de connaître par cœur les opéras de Rossini pour s’amuser comme jadis le roi de Naples : le jeu de scène des solistes, la musique de Rossini font leur effet. C’est charmant, divertissant et diversifié, arias, récitatifs, ensembles, chœurs se suivent sans laisser une chance à l’ennui : Pélée (Sébastien Obrecht, ténor) et Thétis (Marlène Assayag, soprano) se réjouissent de leur amour, et évoquent leurs inquiétudes face à l’avenir. Est-ce que les Euménides ne seraient pas déjà en route pour tout gâcher ? Jupiter (Xavier Mauconduit, ténor), suivi de Junon (Marianne Dellacasagrande – mezzo-soprano) et Cérès (Camille Poul, soprano) et toute une bande de dieux descendent alors de l’Olympe pour chasser ces mauvais esprits et chanter les louanges des jeunes mariés. Les frasques de Jupiter sont bien documentées et l’on reconnaît les habitudes olympiennes : Junon et Cérès se crêpent le chignon, Jupiter est gêné, les mariés sont dans leur monde, le chœur confirme les bonnes paroles des dieux, tout en se moquant de leurs histoires…Un mariage, une fête de famille bien comme il faut donc. Le chant impeccable de tous les protagonistes, le bel-canto léger, un peu ironique et le jeu de scène plein d’esprit et d’assurance des solistes, le travail nuancé, spirituel et précis de l’orchestre en font une fête réussie. Si bien que les artistes doivent bisser le final furieux, avant de pouvoir se reposer.Lorsque je sors de l’opéra, un coucher de soleil donne des éclats de feu aux personnages dorés sur le toit du Parlement de Bretagne, quelques nuages roses flottent dans le ciel bleu sur les immeubles blancs – un dernier salut de Jupiter sans doute. Grazie, signor Rossini !
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