Foto: Bayerische Staatsoper
Suzanne Daumann
Le sous-titre de
cette œuvre tardive de Mozart pourrait être « Ou la solitude du
pouvoir ». Car elle pose la question de la confiance et de l’amitié face
au pouvoir. En qui peut-on avoir vraiment confiance, à partir du moment où l’on
a un tant soit peu de pouvoir, ne serait-ce que la possibilité de laisser
copier un camarade de classe, ou de donner du travail à un ami ? Comment
savoir si ton ami t’aime en tant que personne ou pour les choses que tu peux
faire pour lui ? Voici la question à laquelle se heurte l’empereur Romain
Tito, en découvrant que quelqu’un a essayé de l’assassiner, et que ce quelqu’un
est son meilleur ami, et de surcroît y a été incité par la femme que lui, Tito,
voulait épouser… L’admirable
production stipule clairement qu’il n’y a pas de réponse satisfaisante. Tout
dans la mise en scène de Jan Bosse,
avec les scénographies de Stéphane Laimé,
les costumes de Victoria Behr, les
lumières d’Ingo Bracke, va droit à
l’essentiel, la vie intérieure des personnages. Tout concorde à rendre
l’histoire limpide, lisible, universelle. La direction d’orchestre de Kirill Petrenko n’est pas en reste.
Elle est dense, intense, sobre et claire ; et – ô joie ! – on voit
ici ce que j’ai toujours rêvé de voir dans cet opéra : le soliste
(merveilleux : Andreas Schablas)
qui accompagne les grands arias pivot monte sur scène et joue aux yeux de tous
le dialogue avec Sesto, et avec Vitellia. Mais j’anticipe. Le rideau se lève
sur une ouverture énergique et l’orchestre est visible sur une estrade un peu
plus bas que la scène. Nous voyons le décor du premier acte : un
amphithéâtre, vu d’en bas, et quelques colonnes, le tout blanc et lumineux. Peu
à peu les personnages s’installent sur les marches, pour y attendre le début de
leur histoire. Grâce aux costumes, on les identifie tout de suite, et l’on
comprend la place qu’ils tiennent dans le tissu des relations. Vitellia porte
ainsi une grande robe baroque jaune, avec un jupon énormissime, et une coiffure
rousse haute comme une tour – voilà une femme passionnée et potentiellement
dangereuse. La robe de Servilia est rose et se termine au genou, indiquant
ainsi douceur et innocence. Sesto porte un simple habit noir, et Annio a des
allures de hippie, avec de longs cheveux roux et un habit bleu brodé de strass.
Tito porte une simple chemise blanche, un peu façon chemises des condamnés à
mort, qui lui va jusqu’aux chevilles, assorti d’un manteau-toge qu’il endosse
dans ses moments impériaux.
Et le drame
commence : Vitellia, incarnée par une Kristine
Opolais magnifique, forte et nuancée, demande à Sesto d’assassiner Tito,
qui selon elle a commis le double crime de ne pas l’épouser, et d’occuper
injustement le trône impérial. Sesto se plaint amèrement de devoir tuer son
ami, et le pouvoir de la beauté des femmes, qui le pousse à un acte dont il a
pourtant horreur. Ce Sesto est interprété de manière stupéfiante par la
mezzo-soprano irlandaise Tara Erraught. Douée d’une voix riche et
chaleureuse, intelligente et fine, elle s’abandonne si totalement au monde
intérieur de son personnage, avec toutes ses contradictions et souffrances, que
la différence entre les sexes disparaît simplement. Le ténor anglais Toby Spence, voix plutôt légère, donne
vie à Tito, à cet empereur qui se veut humain et se heurte sans cesse à son
propre pouvoir. Il renonce à Bérénice, pour épouser Servilia, une Romaine et la
sœur de son ami Sesto. Or, Servilia aime Annio, ami de Tito, et n’hésite pas à
le lui faire savoir. Hanna-Elisabeth
Müller incarne cette Servilia, toute en douceur. Annio est interprété par Angela Brower, également très crédible
et charmant(e). Tito renonce donc aussi à Servilia et décide d’épouser
Vitellia. Trop tard ! Celle-ci vient de donner l’ordre irrévocable à Sesto
d’incendier le Capitole et de tuer Tito. Finale de l’Acte I fulminant, feux et
sang sont dans la lumière rouge qui embrase maintenant les marches de la scène,
la musique fait le reste et l’on débute l’entracte, passablement ébranlé.
L’Acte II s’ouvre
sur la même scène, après l’incendie – des cendres tombent encore du plafond, et
une fumée dense emplit la scène, le marbre blanc a disparu, tout l’acte va se
jouer sur une estrade nue, devant une scène nue. Ni chef ni
orchestre, mais voilà Annio et Sesto qui arrivent, Annio s’empare du clavecin
et accompagne, molto secco, un récitatif dans lequel Sesto apprend que Tito est
vivant, et laisse échapper qu’il est l’auteur du crime. L’orchestre revient
doucement, Annio essaye convaincre Sesto de se confier à Tito et d’en appeler à
sa clémence, mais trop tard. Publio, le confident et homme de main de Tito,
arrive et arrête Sesto. Tareq Nazmi interprète ce Publio. Avec sa
basse de velours, il est presque un peu trop chaleureux pour ce personnage
plutôt antipathique, qui semble être jaloux de Sesto et de l’amitié qui le lie
à Tito, alors que sa propre situation près de Tito est clairement celle d’un
mal nécessaire. Il est un peu ridicule, ce Publio, avec ses robes soulevées
jusqu’au genou, toujours à courir et à essayer de coordonner les mouvements des courtisans. Et on lui en
sait gré, car il est seul à prêter à sourire dans cette histoire.
Dans cet Acte II,
certains protagonistes ont changé de costume. Sesto porte les traces de son
attentat, un peu plus tard il apparaîtra en chemise, visiblement malmené en
prison. L’habit d’Annio est toujours bleu, mais plus simple, sans strass.
Vitellia porte maintenant une jupe noire, toujours énorme, mais avec un simple
corsage. Plus de perruques non plus, nous avons affaire à des humains désormais,
et ils sont tous désespérés : Sesto est reconnu coupable, et il y a toutes
les chances à ce qu’il soit condamné à une mort atroce. Annio et Servilia
essayent d’intercéder auprès de Vitellia, mais celle-ci est rongée par le
remords. Publio apprend à Tito que Sesto
a été condamné par le Sénat, et qu’il ne manque que la signature de l’empereur.
Tito s’interroge longuement sur son devoir face à la loi, et son envie de
sauver l’ami. Il décide de suivre son cœur et de libérer Sesto, quand Vitellia
arrive pour lui avouer que c’est elle l’instigatrice de la trahison de Sesto.
Déboussolé, Tito gracie tout le monde et un chœur final célèbre sa clémence. Applaudissements
et bravos pour une soirée d’opéra bien comme il faut !
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