Sunday, March 31, 2013

La Flute enchantée, une question de vie et de mort: Baden Baden

Foto: Andrea Kremper
 
Nicholas G. Philip
Baden-Baden, 23 mars 2013
 
Vingt ans après Aix-en-Provence, le metteur en scène canadien Robert Carsen propose une nouvelle vision de Die Zauberflöte. Tamino et Pamina sont mis à l'épreuve par les parents de la jeune fille. Sarastro et la Reine de la Nuit forment ici un couple complice. Ils infligent à leur pupille et à son fiancé diverses épreuves. Au delà de voir s'ils s'aiment vraiment et peuvent accéder au mariage, il s'agit surtout ici de les affranchir contre la mort. Diverses épreuves sont ainsi programmées, tantôt dans un bois, tantôt dans une clairière, tantôt sous terre. D’une part, les fiancés devront y affronter solitude, désamour, trahison, silence. D’autre part, ils seront confrontés à l’obscurité, aux envies suicidaires, et entourés de tombeaux effrayants, sous l’œil méchant de Monastatos et ses sbires, les fossoyeurs de ce cimetière en pleine nature. On l’aura compris, le rite initiatique maçon cède la place ici « au comment devenir adulte ». Pour y arriver, les jeunes amants sont entourés des « Knaben », leur conscience positive, vue comme seule force de salut… et de la musique de Mozart.  Robert Carsen nous a habitués à des spectacles aboutis, bien réglés et fouillés. C’est encore le cas ici. Il s'entoure d'une équipe de véritables magiciens qui transforment son propos en un conte merveilleux : sublimes éclairages de Peter van Praet, décors inventifs de Michael Levine, complétés par les projections vidéos évocatrices du cycle annuel de la forêt (ou du portrait vivant de Pamina) de Martin Eidenberger. Les beaux costumes actuels de Petra Reinhardt nous font encore plus entrer dans ce monde imaginaire où les jeunes tourtereaux (blanc de la pureté) se perdent dans la forêt épaisse, où Monostatos et ses acolytes incarnent la mort (noir), où les trois garçons (excellents solistes du Aurelios Sängerknaben Calw) doublent Pamina, Tamino et Papageno. Les protagonistes évoluent les yeux bandés. En pleine lumière printanière, le dénouement final parait d'autant plus salvateur. Pamina et Tamino peuvent accéder (voir) à la vie à deux.Sur papier la distribution s'annonçait prestigieuse jusque dans les petits rôles avec une affiche prometteuse de stars. On attendait beaucoup de la prise de rôle de Simone Kermes en Reine de la Nuit. A quatre jours de la première, annoncée souffrante, celle-ci fut remplacée par Ana Durlovski venue de Stuttgart et précédée d'une réputation flatteuse. Un an avant ses débuts dans le même rôle au Metropolitan de New York, l'occasion lui était déjà donnée de briller dans ce rôle dans une grande salle. Force est de constater que la voix manque de projection en raison d'un appui du souffle qui empêche le son de s'élever. En revanche les notes sont là, les aigus parfaitement en place. Confier les trois dames à Annick Massis, Magdalena Kožena et Nathalie Stutzmann pouvait paraître très alléchants. L’ensemble cohérent auquel ont  était en droit de s’attendre, se bousculait tant rythmiquement qu’au niveau de la diction. La voix très particulière de chacune, mêlée à une intonation parfois aléatoire n’ont fait qu’accentuer ce constat de désordre. En Pamina, Kate Royal, douce et juvénile à souhait, offre malheureusement des aigus instables et des phrasés manquants de courbes. Prometteuse, Regula Mühlemann, dans le rôle de Papagena, jeune voix agréable et fraîche. Le meilleur devait venir du côté des hommes. Le vétéran José Van Dam livre en Sprecher une leçon avec un chant ample et stable, faisant de sa scène le grand moment poétique de la soirée. Le couple Tamino et Papageno au jeu incandescent, à la précision rythmique, chantant juste et d'une voix puissante. Avec un investissement scénique assumé, ils livrent tous deux une prestation irréprochable. Le ténor Pavol Breslik campe un Tamino vaillant aux aigus lumineux et à la musicalité suave. Michael Nagy, déjà applaudi ici en Escamillo, campe un Papageno bonhomme, drôle, sympathique, doté d’un magnifique timbre chaud et d’une ligne vocale fluide. Dimitry Ivashchenko incarne un Sarastro très humain et en donne une prestation honnête. James Elliott propose un Monostatos à la voix jeune et chatoyante, ce qui contraste avec son personnage, mais le rend d’autant plus touchant lors du final. Excellents aussi les petits rôles masculins, Andreas Schager, Jonathan Lemalu, Benjamin Hulett et David Jerusalem.  Le Rundfunkchor Berlin est digne d’éloges. En particulier, les nombreuses parties dévolues aux pupitres masculins sont parfaitement chantées. Dans le contexte de ce jeu entre la vie et la mort imaginé par Robert Carsen, la fosse d'orchestre devient fosse commune où tous les regards convergent à la recherche d’un de ses plus illustres habitants, Mozart. La profondeur de ce cratère est telle que le son produit par les Berliner Philharmoniquer y est quasiment lointain, voire étouffé, sans que pour autant on n’en perde l'articulation, les phrasés, la précision, les solos instrumentaux (sublime flûte), la pulsation. Simon Rattle choisit ici des tempi lents et une battue sans nervosité. Pourtant nous avons dénombré de nombreux décalages entre un plateau assez nerveux, un soir de première, et un orchestre qui fonctionne comme une Rolls Royce. C'est lui le grand triomphateur de la soirée. Il quitte Salzbourg et son festival de Pâques après tant d’années de fidélité pour commencer ici une nouvelle ère sous l'égide du plus universel des salzbourgeois, Mozart. Sous l’égide du compositeur sorti de cette obscure fosse, le final est chanté par le cast entier, une flûte dorée à la main. La musique et l’amour ont triomphé !
 


 
 
 
 
 

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