Foto: Théâtre du Châtelet
Suzanne Daumann
Saison de fin d’année, saison de fêtes : Cette production de My Fair Lady,
reprise trois ans après sa création en 2010, est une fête joyeusement réussie. Elle n’est pourtant pas sans épines, cette histoire : la pauvre vendeuse de fleurs apprend à parler
l’anglais de la haute société et par là se coupe de ses racines sociales. C’est
seulement l’amour de son professeur Higgins qui lui donne une nouvelle place
dans la vie. Il serait d’autant plus tentant d’imaginer la suite que George
Bernard Shaw n’avait pas prévu une telle fin pour la pièce originale. Et le
père de l’héroïne, un joyeux luron, véritable poète et philosophe de la vie
nocturne, se trouve happé par la bourgeoisie et pris dans les filets du
mariage. Les décors élégamment sobres de Tim Hatley laissent la part belle aux
costumes parfois joyeusement et judicieusement exagérés d’Anthony Powell :
la robe d’Eliza dans la scène d’Ascot est une joie en elle-même ; les
contrastes entre les couleurs des dames et le gris des messieurs dans la
Gavotte d’Ascot, de concert avec la chorégraphie, donnent envie de pleurer de
joie, tellement c’est au point et va parfaitement avec le jeu de l’orchestre.
Jayce Ogren dirige l’Orchestre Pasdeloup avec un drive irrésistible, tout en
soulignant les finesses allègres de la partition et donne une solide fondation
rythmique aux merveilleuses chorégraphies de Lynne Page. Que ce soit les scènes
avec la population de Covent Garden – surtout le turbulent enterrement de la
vie de garçon d’Alfred P. Doolittle au second acte, qui donne simplement envie
de participer, ou bien la Gavotte
d’Ascot, qui accentue parfaitement le faux pas d’Eliza : tout dans cette
production s’accorde parfaitement. Une distribution stellaire brille de mille
feux spirituels : Katherine Manley, soprano, incarne Eliza Doolittle. Il
faut admirer la façon dont elle adapte son chant à l’occasion et laisse
seulement transparaître parfois ses grandes possibilités vocales. Dans les
faits, elle donne force et sensibilité à Eliza, que ce soit dans le chant ou
dans le jeu d’acteur. Il en va de même pour Ed Lyons, ténor, qui tient le rôle
de Freddy Ainsford-Hill. À l’entendre chanter « On the Street Where You
Live », l’on se prend à lui souhaiter un plus grand rôle ; cependant
il maîtrise aussi impeccablement le jeu parlé. Alex Jennings est un Professeur
Higgins bien comme il faut, bourru et aimable malgré lui, aux bonnes manières
s’il veut bien se donner la peine de les montrer, au cœur sensible, et
passionné de sa science. Donald Maxwell, baryton, joue, chante et danse le
tragi-comique Alfred P. Doolittle quitte à éclipser Stanley Holloway. C’est
peut-être là la magie de cette production : La mise en scène de Robert
Carsen respecte la production de Broadway des années 50 et le film classique,
tout en donnant une énergie toute fraîche et nouvelle à la sienne. Et l’on
assiste à un spectacle plein de verve et rythme, que le public applaudit debout, et l’on sort en chantonnant, certain
que la vie est, après tout, une belle idée.
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