Foto copyright: Jef Rabillon
Suzanne Daumann
À une époque où
les grandes œuvres religieuses de la musique occidentale sont devenus des
divertissements musicaux, il n’est pas vraiment surprenant que la grande
expérience spirituelle, la réflexion sur vie et mort et sens de la vie, nous
vienne d’un opéra. Dans Dialogues
des Carmélites, ni amours et jalousies, ni gloires et combats pour la patrie.
Son héroïne est une jeune fille peureuse, Blanche de la Force. Pour échapper à
sa peur maladive de la vie et des gens, elle rentre au Carmel de Compiègne.
Lorsque, à la Révolution, ses sœurs Carmélites sont condamnées à la guillotine,
elle finit par vaincre sa peur, et les rejoint au dernier moment pour les
suivre dans la mort. Pour cette
nouvelle co-production d’Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Bordeaux, Mireille Delunsch signe la mise en
scène. Elle situe l’histoire à sa propre place dans l’histoire, avec de très
beaux décors, accessoires et costumes (Rudy
Sabounghi) classiques et parlants : grandes glaces quelque peu ternies
et candélabres pour la maison des De La Force, table de réfectoire, fers à
repasser et serpillières pour le Carmel, où la table de réfectoire deviendra
aussi le lit de mort de la Supérieure. Un jeu de lumières splendide (Dominique Borrini) complète et souligne
leurs intentions. Quand des
chanteurs assument des mises en scène, on est sûr que leurs collègues sur scène
seront traités avec respect, et ne seront pas soumis à des situations
hasardeuses pour le chant. C’est bien le cas ici et c’est très bien ainsi. La musique riche
et profonde et profondément religieuse de Francis Poulenc est merveilleusement
interprétée par l’Orchestre National des Pays de la Loire, sous la baguette de Jacques Lacombe, tout en détails et
nuances et couleurs. On suit ainsi aisément ces dialogues compliqués. Blanche de la
Force est admirablement interprétée par Anne-Catherine
Gillet, soprano. Sa voix légère et pleine s’élève sans effort dans ces
aigus soudains si périlleux dont l’œuvre abonde, et transmet toute la
profondeur des sentiments de son personnage. Admirable également la Sœur
Constance de Sophie Junker, soprano
agile et spirituelle. Stanislas de Barbeyrac, ténor, campe un Chevalier de
la Force convaincant, entre tendresse fraternelle et rigueur combative. Doris Lamprecht, mezzo-soprano, joue
l’agonie de la Supérieure avec tant d’abandon que, par moments elle semble y
laisser sa voix ; et Hedwig
Fassbaender, mezzo-soprano chaleureuse, est une Mère Marie attachée et attachante. Pour le grand
final, le martyre des Carmélites sous la guillotine, Mireille Delunsch a choisi
de montrer celle-ci en entier, avant de la faire pousser sur le bord de la
scène. Les filles disparaissent dans les coulisses, on entend le coup de
couperet, et, rythmé par l’inexorable approche de la mort, la file des
Carmélites s’avance, leur chant devient de plus en plus mince, Blanche
apparaît, les suit, jusqu’au coup final. Quelques mesures orchestrales encore
pour atténuer le choc, c’est le rideau, et les applaudissements sont bien
mérités. Et l’on sort,
quelque peu ébranlé et plus riche d’une experience.
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