Foto: Opéra de Rennes
Suzanne Daumann
Pour la mise en
scène de cette co-production, Eric
Vigner fait abstraction de toute opulence baroque, sa scénographie est
simple, les jeux de scène élaborés et musicaux, et le tout fonctionne à
merveille. L’histoire est simple, elle parle d’émotions simples et profondes,
et cette mise en scène permet simplement à la musique d’atteindre le spectateur
en plein cœur. La princesse
Angelica et le chevalier Medoro s’aiment, mais Dorinda, la jolie bergère aime
aussi Medoro, et le chevalier Orlando aime Angelica – à la folie. Cependant, le
sage mage Zoroastro trouve qu’Orlando devrait poursuivre la gloire et non la
princesse. Mais Orlando insiste, cherche
l’amour et trouve la folie (dont le guérit, in extremis, Zoroastro, pour
assurer un « happy-end »). Une distribution
formidable joue et chante cette histoire sur une scène quasiment nue. Quelques
rideaux de perles symbolisent forêts, feux et vagues, quelques panneaux de bois
les arbres de la forêt… Deux étranges personnages muets, jeunes acteurs en
jeans et veste de cuir, beaux gosses à l’air un tantinet voyou, manifestement
des jumeaux (Grégoire et Sébastien
Camuzet), symbolisent tour à tour
combats, forces de la nature, furies et sont les hommes de main de Zoroastro.
Leurs mouvements de scène découlent de la musique, sont souples, sont danse, ne dérangent jamais, mais au contraire
illustrent très bien les propos des protagonistes. Les costumes des
chanteurs indiquent clairement les personnages : costume cravate vaguement
hors du temps et épée pour les chevaliers ; robe en soie beige pour la
princesse ; petite robe avec corsage pour la bergère, et veste de cuir et
casquette pour Zoroastro qui fait penser à un conducteur de locomotive, ou bien
un metteur en scène russe. Angelica est
incarnée par Adriana Kucerova,
soprano, à la voix généreuse et claire, qui maîtrise à merveille toutes les
fioritures du bel canto baroque, et donne vie aux émotions compliquées de son
personnage, tiraillé entre amour, culpabilité et regrets. Kristina Hammarström, mezzo-soprano, voix de miel pleine de tendresse,
est un Medoro attachant qui regrette sincèrement de devoir faire de la peine à
Dorinda pour vivre pleinement son amour pour Angelica. David DQ Lee, contre-ténor, nous emmène sur le chemin de la
folie, crédible et présent dans chaque scène, époustouflant dans la scène de la
folie, d’autant plus qu’on sent qu’il combat la fatigue des représentations
passés. Si sa voix semble un peu terne
au début, elle est néanmoins à la hauteur quand il le faut. Cette scène de la
folie est un exemple merveilleux d’une production réussie – chanteurs, mise en
scène, orchestre, se réunissent ici pour former un pont par lequel le
spectateur entre directement dans le cœur des personnages, les lumières jettent
un rai de folie jusque dans la salle, et l’on entre dans une espèce de transe. Sunhae Im, soprano, avec sa voix cristalline et flûtée,
incarne parfaitement la petite bergère éplorée, et Luigi de Donato, basse, est un Zoroastro autoritaire et bienveillant. Les chanteurs
sont portés par l’excellent Ensemble Matheus, essentiellement en cordes
somptueuses et nuancés, clavecin clair et résonnant et quelques interventions
de vents tellement à propos qu’on aurait pu ne pas les remarquer. Jean-Christophe Spinosi donne vitalité
et tension dramatique à la partition aussi et surtout dans les moments qui
auraient pu être franchement ennuyeux. Et quand la
troupe, applaudie chaleureusement par un public enchanté, reprend le chœur
final et esquisse quelques pas de danse, la soirée se termine dans une ambiance
de fête.
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