Friday, January 9, 2015

Une affaire domestique : Barbe-Bleue d’Offenbach à l’Opéra de Rennes


Foto: Jef Rabillon

Suzanne Daumann

C’est la période des fêtes : entre fin d’année et carnaval, Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes font la fête avec Barbe-Bleue et Jacques Offenbach, avec une production d’Opera Zuid, co-produit aussi avec l’Opéra National de Lorraine. Chez Offenbach, Barbe-Bleue est une espèce de Don Juan aux méthodes quelque peu radicales, son histoire, tout compte fait, tourne autour du mariage et des affaires domestiques. Par conséquent, Waut Koeken la met en scène dans des décors domestiques. Dans la scénographie de Yannick Larrivée, un plan incliné couvre la scène presque en entier et fait tour à tour office de lit dont la literie fleurie évoque champs et prairies, de canapé rouge et de table de cuisine nappée aux carreaux rouges et blancs gigantesque. S’y ajoutent maints détails loufoques et colorés, que ce soit un cadre doré de travers sur le mur de fond, habité par les personnages et situations les plus diverses, des parapluies à pompons qui font office de « palanquin à baldaquin », une télévision d’où sortent et où disparaissent des personnages…L’ambiance est parfaitement offenbachienne : légère sans être facile, encore moins vulgaire. Les costumes sont autant de variations multicolores du thème du linge de nuit, donnant à l’ensemble des allures de pyjama-party. Avec les chorégraphies d’Elsa Baumann, tout part dans un tourbillon irrésistible de chants, danses, gags et rebondissements. L’excellente distribution n’est pas en reste : on court, danse, saute, chevauche des coussins et chante, mine de rien, apparemment sans effort, ces parties difficiles, on caricature et parodie en se donnant à cœur joie sans jamais en faire de trop. Mathias Vidal, ténor, campe un Barbe-Bleue bien vivant, humain, attachant. Son beau timbre clair et naturel le rend parfaitement crédible, et il est évident qu’il maîtrise le bel canto tout autant que les partitions baroques. Tout aussi admirable, pétillante et énergique, la mezzo-soprano au timbre argentin Carine Séchaye dans le rôle de Boulotte.  Boulotte est une jeune paysanne, aux mœurs et au patois bien campagnards, qui se trouve par hasard mariée à Barbe-Bleue. Précédemment, elle était amoureuse du prince Saphir, déguisé en berger, qui aime, de son côté, la bergère Fleurette qui est en réalité la princesse Hermia, fille du roi Bobêche. Au moment où la vraie identité de Fleurette est connue et elle est transportée au château du roi, surgit Popolani, l’alchimiste de Barbe-Bleue, chargé de trouver une nouvelle épouse pour son maître. Il organise alors un tirage au sort : c’est Boulotte qui sera la femme de Barbe-Bleue. Pendant ce temps, le roi Bobèche, interprété en vrai roi d’opérette par le ténor Raphaël Brémard, est jaloux du comte Alvarez qu’il soupçonne d‘être l’amant de la reine Clémentine, et ordonne au comte Oscar de l’exécuter. Flannan Obé, ténor, interprète ce courtisan avec brio con fuoco.  Pour le mariage de la princesse Hermia et le prince Saphir, Barbe-Bleue avait présenté sa nouvelle femme au roi. Or, Boulotte à la cour, c’est un peu Eliza Doolittle à Ascot, patois et mœurs rurales détonnent dans ce cadre guindé et Barbe-Bleue décide qu’il a besoin d’une nouvelle nouvelle épouse sur-le-champ. D’autant plus qu’il est tombé raide amoureux de la fille du roi, Hermia, interprétée tout en charme et innocence, par la soprano Gabrielle Philiponet.  Il charge alors Popolani d’envoyer Boulotte rejoindre ses autres femmes. Pierre Doyen, baryton, est Popolani, et lui donne des airs de savant fou. Fou mais point furieux : Popolani n’a pas tué les femmes de son maître, il leur a donné une potion magique pour les endormir. Dans une finale déchaînée, il s’avère que le comte Oscar a fait de même avec les victimes du roi Bobêche, les amants supposés de son épouse. On assiste alors à un quintuple mariage arrangé, aux noces de la princesse Hermia et du prince Saphir (très comique également Loïc Félix, hystérique en pyjama turquoise) et à la réconciliation de Barbe-Bleue et Boulotte. Laurent Campellone dirige l’Orchestre Symphonique de Bretagne avec tout ce qu’il faut de verve et de tendresse, et fait preuve de son talent d’acteur dans un intermezzo arrosé lors du changement de décor pour le final. Une fête réussie, une coupe de Champagne musical pour ce début d’année : bravi tutti ! À voir au Grand Théâtre d’Angers les 11, 13 et 15 janvier.



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