Photo: Jef Rabillon
Suzanne Daumann
Il est de ces
chefs-d’œuvre injustement oubliés qui occupent une saison, un CD, pour ensuite
disparaître de nouveau dans l’injuste oubli. Et il y a des découvertes et
redécouvertes qui restent. Quel sera le destin de cette Elena
de Francesco Cavalli, dont la redécouverte et représentation nous devons au
jeune chef argentin Leonardo García
Alarcón Pour l’heure, la production du Festival
d’Aix-en-Provence et de l’Académie Européenne de Musique, co-produite avec
plusieurs partenaires, dont l’Opéra de Rennes, triomphe partout où elle est
donnée. Est-ce dû à l’excellence de la production ou à la qualité de l’œuvre
même ? Cette comédie
exubérante, tissée de tromperies, déguisements et surprises, est aussi un petit
tour d’horizon des différents aspects de l’amour, représentés par les
personnages : Elena, la belle
Hélène, est une jeune fille qui attend « l’amour », sans vraiment
savoir ce qu’elle attend. Giulia Semenzato,
qui la joue, est belle, jeune, espiègle et sensible, et sa voix agile exprime
tous les sentiments qu’elle doit vivre avant que l’amour, le vrai, le seul,
triomphe. Elena est enlevée par Teseo, un cousin pas si lointain de Don
Giovanni, incarnée avec beaucoup de conviction par le ténor Fernando Guimaraes. Une Amazone, nommée Elisa, qui est en
vérité Menelao et qui l’aime pour de vrai et fidèlement, est également victime
de Teseo et son serviteur Peritoo. Elena n’a aucune idée de la supercherie, et
commence par tomber amoureuse de Teseo, une fois que celui-ci a renoncé à ses
airs de macho et la traite avec un peu de respect. Une forme du syndrome de
Stockholm ? Peritoo, lui, est amoureux d’Elisa, alias Menelao. Le
contre-ténor Carlo Vistoli chante ce Peritoo en
vrai comique, sa façon de lorgner Elisa à chaque rencontre est un running gag
qui marche. Elisa/Menelao est interprété par le contre-ténor Kangmin Justin Kim.
Ce jeune homme à la voix souple
et pure et aux mouvements gracieux maîtrise avec aisance les difficultés de ce
chant baroque particulier. Menelao, lui, aime donc Elena. Il doit connaître le
désespoir quand elle se croit amoureuse de Teseo, mais il ne l’en aime pas
moins. Nous rencontrons
aussi l’amour d’un vieillard pour une jeune fille en la personne du père
présumé d’Elena, chanté par l’excellente basse Krzysztof
Baczyk, qui tombe éperdument amoureux de la fausse Amazone. Un autre
amour à première vue est celui de Menesteo, le fils du roi Creonte, qui a donné
asile à Teseo et sa suite. Menesteo tombe amoureux d’Elena et veut tuer Teseo,
son rival. La mezzo-soprano Anna Reinhold
chante ce Menesteo avec une conviction androgyne. L’amour bafoué, prêt à se
transformer en rage, est présent en la personne d’Ippolita, ancienne amante et
délaissée par Teseo. La mezzo-soprano Gaia Petrone
lui donne vie et voix. Le fou du roi finalement, Iro, incarné avec un joyeux
abandon par le ténor Emiliano Gonzalez Toro,
représente, avec moult gestes lascifs et scabreux, le côté grotesque et un peu
ridicule de l’acte sexuel. Tout ce méli-mélo s’arrange à la fin, les identités
s’éclaircissent, les amoureux sont réunis, et Menelao et Elena, contre-ténor et
soprano, chantent un duo final sublime de tendresse. La musique
subtile et expressive de Cavalli est finement orchestrée et illustre tous ces
affects différents et nuancés avec beaucoup de finesse. L’excellent orchestre
Cappella Mediterranea sous la direction de Leonardo García Alarcón lui
rend amplement justice. Il faut vraiment admirer l’énergie de tous sur scène et dans la fosse. La mise en scène
de Jean-Yves Ruf, avec les décors de Laure Pichat, se contente du minimum. Le
jeu de scène est intense, mais laisse
chanter les chanteurs. La scénographie est minimaliste : elle consiste en
quelques cloisons de bois en demi-cercle et sur différents niveaux – un
amphithéâtre donc, quelques meubles et accessoires, et au deuxième acte, quand
les jeux de cache-cache battent leur plein, une suite de rideaux en fils
rouges. Les costumes, entre renaissance et rococo, aident efficacement à
identifier le statut de chaque personnage dans la pièce. Tout s’accorde
donc ici pour que la magie du théâtre musical opère une fois de plus. Bravi
tutti !
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