Foto: Maggio Musicale Fiorentino
Suzanne Daumann
Or et sang, or et sexe: le chef d’oeuvre de Hindemith et Lion parle de
l’essence mȇme de la vie humaine, et des ses symbols les plus puissants. Le protagoniste,
Cardillac, est un orfèvre qui aime tant ses créations qu’il en tue les
acheteurs pour les reprendre. Dès le début, nous sommes confrontés à la violence et la façon dont elle
engendre la violence: la foule - le choeur magnifique du Maggio Musicale -
évoque la série de meurtres mystérieux dans la cité, différentes fractions se
forment quant à la solution du problème, des affrontements ne sont pas loin
lorsqu’apparaissent divers boucs émissaires. Un lynchage est évité seulement
par l’apparition du prévôt qui annonce la création d’une court de justice
spéciale et sévère qui poursuivra ces crimes. Dès le début, nous sommes
atteints au coeur par la musique de Hindemith. Elle est sobrement expressive,
finement orchestrée, presque plus musique de chambre qu’opéra, tant il y a de
petits ensembles et de solos. Fabio Luisi dirige le merveilleux orchestre du
Maggio Musicale et une distribution formidable avec juste ce qu’il faut
d’expressivité, soulignant tous ces moments de beauté sublime, laissant le temps
au drame de se développer. Et nous les suivons vers les régions sombres du
coeur humain… La mise en scène de Valerio Binasco est sans prétention, la belle
scénographie de Guido Fiorato, sobre et sombre, et les costumes de Gianluca
Falasco qui évoquent les années de création de l’opéra, tout s’accorde
parfaitement à la musique, créant un cadre juste comme il faut pour cette
oeuvre sombre. Et le drame prend son essor: la foule se disperse, reste seul un couple
d’amants. Elle lui demande une preuve de son amour avant de se donner à lui -
un bijou fait par Cardillac. Dans sa chambre ensuite, elle l’attend, chantant
son désir. Il arrive, il apporte le cadeau, ils sont dans les bras l’un de
l’autre. Le soprano doré de Jennifer Larmore et le ténor chaud et doux de
Johannes Chum se réunissent en joie et or, et les vents chantent d’harmonie et
bonheur. Hélas, voilà des dissonances
pleines d’angoissse et Cardillac et la mort. Après l’entracte, nous
sommes dans la maison de Cardillac, où sa fille s’affaire autour de lui.
L’arrivée du marchand d’or, chanté par Pavel Kudinov, manifestement mal à
l’aise en présence de l’orfèvre, donne la première indice d’un soupçon public
contre Cardillac. Les deux hommes s’en vont et la fille, restée seule, chante
sa détresse - elle aime un officier et il l’aime en retour, mais se sent
obligée envers son père. Arrive ensuite l’amant, suivi de Cardillac,
s’ensuivent des ensembles entre les trois qui sont parmi les moments les plus
émouvants dans le répertoire de l’opéra. Le baryton Martin Gantner chante un
Cardillac convaincant et émouvant, et sa voix chaude et volatile se mȇle
merveilleusement avec le soprano clair et doré de Gun-Brit Barkmin et le ténor
résonnant de Ferdinand von Bothmer, respectivement la fille et l’officier. L’orchestration souligne les maints aspects de ce triangle père - fille -
amant, et de nouveau Fabio Luisi et l’orchestre ont fait des merveilles,
gardant l’énergie et tenant le suspense jusqu’au bout. Vers la fin se pose la question de la loyauté: l’officier ayant acheté un
bijou à Cardillac, celui-ci l’agresse et le blesse au bras. L’officier veut
rester loyal envers sa nouvelle famille et décide de couvrir Cardillac.
Celui-ci, en revanche, reste loyal à ses principes, ou peut-être à sa folie, et
se rend. La foule le lynche alors. Une fois la soif de sang épanché, le désir
de vengeance exaucé, Cardillac est de nouveau considéré comme le grand artiste
et finalement sa propre victime. De loin, on entend chanter les filles du Rhin de Wagner leur incantation
„Rheingold“. C’est donc ici que la malédiction de l’Or du Rhin oeuvre
maintenant? Est-ce que Cardillac aurait développé la même folie s’il avait
travaillé un autre matériel? Pour ceux qui vont à l’opéra pour trouver de la stimulation intellectuelle
en plus des sons glorieux, cette oeuvre est un régal et la production lui rend
amplement justice. Bravi tutti, et merci au Maggio Musicale!
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