Foto: Elisa Haberer
Suzanne Daumann
La Flûte Enchantée de Mozart est, malgré son livret quelque peu alambiqué,
un des opéras les plus aimés par le public, par tous les publics. Rien
d’étonnant à cela : le message est universel et passe par la musique. Pour
cette co-production avec le Festspielhaus Baden-Baden de 2014, Robert Carsen a
pris le parti de prolonger le symbolisme maçonnique par le symbolisme de la
psychologie moderne. Ses symboles (décors par Michael Levine) sont simples,
sobres et efficaces : en arrière-plan, une vidéo projection d’une forêt de
bouleaux en différentes saisons nous rappelle que le thème de l’œuvre est
simplement la nature, la nature humaine. Des tombes ouvertes sur la scène
parlent pour elles-mêmes et lorsque Tamino fait son entrée en sortant de l’une
d’elles, l’on comprend tout de suite qu’il vient de naître, naître de la mort,
vie et mort ne sont qu’un… Logiquement, le temple des épreuves de l’Acte II est
représenté par un tombeau, jonché de cercueils. Les costumes de Petra Reinhardt
renforcent efficacement la lisibilité de la mise en scène : simple habit
blanc pour Tamino, robe blanche pour Pamina, tous deux sont pieds nus –
innocence, aspiration à la lumière. Les prêtres sont tout aussi simplement en
noir, ainsi que la Reine de la Nuit et ses dames. Seul Papageno et plus tard
Papagena détonnent : Pas de plumes pour ces oiseleurs – sac à dos, sac de couchage, panoplie du
joyeux vagabond illustrent envie de liberté, non-conformisme, une vie proche
des éléments, bref, la partie terrestre de la nature humaine. Le coup de génie,
c’est l’apparition des trois garçons qui reprennent tour à tour les costumes
des uns et des autres et l’on saisit intuitivement que tous ces personnages
qu’ils relient ne sont que des facettes différentes de l’âme humaine :
Tamino et Pamina, la partie spirituelle, cette part de nous qui aspire à la
lumière ; Papageno et Papageno, l’aspect corporel, sexualité, fécondité.
Sarastro et la Reine de la Nuit représentent donc logiquement les forces
extérieures qui nous guident, et les concepts de bien et de mal s’entremêlent,
façon Yin et Yang. Ainsi, les failles logiques du livret qui dérangent, ces
personnages qui changent d’orientation, de bien en mal et de mal en bien, sont
neutralisés ici, et le tout devient cohérent. Le message de ce double
symbolisme est alors très clair, et c’est un message d’actualité dans notre époque qui met le
confort avant tout : c’est en faisant face à nos peurs, à nos démons et
fantômes, que nous les surmontons et arrivons à la vraie liberté. Musicalement, je reste un peu sur ma faim : une très bonne
distribution, de belles voix, la direction d’orchestre de Constantin Trinks est
impeccable et attentive – mais cela manque de ce feu sacré qui fait d’une
représentation un moment magique qui vous ancre ici et maintenant. La Pamina de Jacquelyn Wagner est adorable dans son innocence, et sa voix
ample et généreuse très plaisante. Mauro Peter, voix de ténor chaleureuse au
timbre naturel, avec un peu de laiton, campe un Tamino un peu naïf, face au
Papageno de Edwin Crossley-Mercer, qui lui est un débrouillard et vaurien
charmant. Crossley-Mercer habite son personnage avec esprit et abandon, et avec
Elisabeth Schwarz en Papagena le couple est charmant. Cependant, le duo Pamina – Papageno de l’Acte
I reste académique, tout comme les airs de Tamino et même celui de la Reine de
la Nuit, interprétée par Jane Archibald. Ce n’est que lors des interventions
des trois garçons que l’on sent percer des vraies émotions. Ils sont adorables,
ces trois solistes des Aurelius Sängerknaben de Calw, et maîtrisent leurs jeux
de scène comme des grands. Ante Jerkunica, avec sa voix de basse de velours,
est un Sarastro dignifié et bienveillant. Finalement, vers la moitié de l’Acte II, avec l’air de Pamina « Ach,
ich fühl’s », nous aussi commençons à ressentir les émotions des
protagonistes, et la rencontre de Pamina et Tamino – « Tamino mein, o
welch ein Glück ! » - « Pamina mein, o welch ein Glück ! »
- suscite enfin un léger frisson. À partir de ce moment, la représentation
s’anime nettement : le feu que doivent traverser Tamino et Pamina s’en
empare, et lors du final, les applaudissements et bravos sont destinés à une
équipe qui a fini par se trouver.
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