Foto: Wilfried Hösl
Suzanne Daumann
Dans la nouvelle production du Staatsoper de Munich, le metteur en scène
Philippe Stölzl respecte le contexte historique, tout en développant un regard
contemporain sur l’oeuvre et ses protagonistes. Une scénographie sobre et fort
lisible juxtapose « ceux d’en haut » et « ceux d’en bas »,
et dans le premier tableau, au château de Coigny, les domestiques vivent leur
misérable vie en dessous de leurs maîtres, et ces quartiers d’en bas laissent
déjà entrevoir les renversements de la situation et les prisons de la
Révolution. Tapisseries et robes somptueuses couleur champagne, en haut tout
est lumineux et chaleureux, en bas tout est sombre et miséreux; la Comtesse de Coigny, précieuse et majestueuse
comme il se doit, interprétée avec bravoure par Doris Soffel - le tableau de la
société noble et oisive est parfait. Le
poète Andrea Chénier et la jeune comtesse Maddalena détonnent un peu dans ce
cadre, lui par ses habits un peu usés et par sa pensée pro-révolutionnaire,
elle, par sa robe blanche assez simple, et par sa vague envie de liberté,
exprimé dans sa complainte sur l’inconfort des robes et corsets. C’est cette
rencontre d’idées qui initie l’improbable histoire d’amour qui s’ensuit. Néanmoins,
cette histoire n’est qu’une facette de cette oeuvre qui tente de conter
l’Histoire par des histoires. Ainsi, au deuxième tableau, nous sommes à Paris,
en pleine Terreur, et la scène montre simultanément les rues de la ville, un
bordel, en bas les prisons, et Andrea Chénier a élu domicile dans sa future
cellule. L’ancien serviteur Carlo Gérard se révèle comme le vrai protagoniste
de l’histoire: Devenu la main droite de Robbespierre, il fait rechercher et
Maddalena dont il est amoureux, et Chénier dont il est jaloux et qu’il
soupçonne d’avoir des idées qui „trahiraient“ la Révolution. Blessé par Chénier
lors d’un duel, il le couvre cependant et lui sauve la vie, et lorsque
Maddalena lui propose, plus tard, sa vertu en échange de la liberté de
celui-ci, il finit par renoncer à elle. Malgré ce support tardif, Chénier est
condamné à mort et Maddalena décide de
mourir avec lui. À côté de ces drame, l’oeuvre conte d’autres histoires,
notamment celle de „la vieille Madelon“, une vieille femme qui a perdu presque
toute sa famille et vient néanmoins sacrifier son dernier petit-fils à l’armée
de la Révolution. Elena Zilio l’interprète et chante son air touchant avec tant
de conviction et justesse, avec une voix qui retient tout juste les larmes, que
tous les coeurs de mères de fils se brisent un peu dans la salle, et qu’on
pense à toutes les mères de tous les fils sacrifiés pour tant de causes, jadis
et aujourd’hui. Carlo Gérard est interprété ce soir par Ambrogio Maestri,
remplaçant Luca Salsi, et le public n’a rien perdu au change. Maestri est
magnifique, voix de baryton chaude et ample, intonation parfaite, il incarne à
la perfection cet anti-Scarpia dans son développement et ses contradictions.
Magnifique également Anja Harteros dans le rôle de Maddalena. Cette comtesse
est la reine de la soirée: elle chante ses airs et les duos avec tant de force
ingénue, sa voix pure et chaude suit la ligne mélodique avec tant de grâce que
les ovations debout à la fin du spectacle sont amplement méritées. Jonas
Kaufmann, Andrea Chénier, n’est pas au top de sa forme ce soir. Acteur
consommé, il joue son rôle à la perfection comme toujours, cependant on le sent
un peu las, un tantinet routinier, et si ses pianissimi célèbres sont fins et
tendus comme on les lui connait, il peine un peu dans le forte. Le fait que
l’orchestre, pendant la première moitié du spectacle surtout, avec sa musique
plutôt guerrière, a tendance à couvrir les chanteurs n’aide pas vraiment. Jonas
Kaufmann est Jonas Kaufmann est Jonas Kaufmann, et le chouchou des Munichois
mérite amplement les applaudissements chaleureux de son public. Omer Meir
Wellber, une fois que la musique lui en donne le loisir, s’avère un chef
minutieux et énergique, laissant vibrer et étinceler maint détail d’une
partition qui convainc surtout par sa fonctionnalité. Une belle production, où tout se tient, une belle soirée d’été à Munich.
Bravi tutti, merci!
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