Foto: Laurent Guizard
Suzanne Daumann
Récemment, le directeur artistique d’un théâtre renommé en région
parisienne a refusé un spectacle, en disant que « ce n’était pas pour son
public ». Il y a donc des publics différents qui ont droit à des
spectacles différents dans le pays de l’Égalité ?! S’ouvre un vaste champ
de réflexion sur les notions de qualité artistique, qualité d’écoute et tutti
quanti. Champ bien trop vaste pour ces pages : Il m’a été donné d’assister
à des spectacles en « province », comme en « capitale » et
je suis de plus en plus admirative devant les spectacles proposés par les
maisons de « province », avec le peu de moyens qu’ils ont par rapport
aux maisons parisiennes. L’Opéra de Rennes proposait récemment une production de Rigoletto de
l’Opéra de Monte Carlo, production d’une splendeur chiaro-scuro qui correspond
parfaitement à la sombre luminosité de la pièce et qui n’a rien à envier aux
grandes scènes nationales, où l’on peut assister parfois à des productions avec
un casting de stars désinvoltes, productions techniquement parfaites et qui
laissent un fade arrière-goût de routine. La mise en scène de Jean-Louis Grinda, situe l’histoire à l’époque de sa
création, l’époque de Verdi donc : smokings, robes et déshabillés - des filles de joie agrémentent
la fête du duc – et Gilda apparaît, déguisée en homme au troisième acte, en
mini-portrait de Verdi, avec frac et chapeau haut de forme. Marianne Lambert
incarne cette Gilda, avec un soprano remarquable, doux et frais, toute en
innocence féminine. « Bravo », cela veut dire en italien
« vaillant », et elle mérite un grand bravo pour sa performance, le
directeur de l’Opéra de Rennes ayant annoncé avant le lever du rideau qu’elle
était souffrante : on n’en a rien entendu ! Gilda fait partie d’un triskell d’émotions,
dont le centre est l’amour, ou plutôt l’idée que s’en font Gilda, son père Rigoletto, et le Duc.
Rigoletto est ce personnage vraiment tragique qui déclenche la tragédie en
essayant de l’éviter. Victor Torres, baryton, douée d’une voix et une présence
scénique à toute épreuve, a tout compris. Il est un Rigoletto puissant,
autoritaire dans la tendresse, mordant avec les courtisans, inébranlable sur
son chemin vers le destin. Luciano Botelho, ténor, interprète le Duc de Mantoue
aux mœurs légères et pour qui amour veut dire amour physique, rien d’autre.
Hélas, les semaines de répétitions et représentations (on est à la dernière)
réclament leur dû : il y a des petites faiblesses dans les aigus, qui n’enlèvent
rien au charme de la voix et du personnage. Anatoli Sivko, basse, campe un
Sparafucile froid et grondant de menace, sa sœur Maddalena est interprétée par
la mezzo-soprano Laura Brioli avec verve et assurance. Le drame se déroule dans un décor simple et terriblement efficace, signé
Rudy Sabounghy : devant un arrière-plan de bans de bois, nous trouvons
pour le premier acte quelques fauteuils, un paravent : le palais ducal.
Pour le deuxième acte, les pans de bois forment une terrasse, à côté on voit la
silhouette d’une ville italienne, Mantoue probablement : toits de tuile,
un clocher, et un ciel nuageux aux lumières et couleurs changeantes qui
illustre habilement les propos de la musique. Bravo l’artiste des lumières,
Laurent Castaingt ! On retrouve le même ciel à l’acte III, et maintenant,
il couvre tout l’arrière-plan de la scène, jouant son rôle dans l’orage
dramatique qui va éclater. La cabane de
Sparafucile est faite ici de branches de bambou verticales, qui laissent
apparaître toutes les pièces de la maisonnette. Elle est montée sur un ponton,
le sol est couvert par une imitation très crédible d’eau : tout se passe
sur ce ponton, et la présence quasi-physique du fleuve souligne de manière
impressionnante l’inéluctabilité de ce qui va se passer. Cette scénographie
magnifique est une œuvre d’art à elle toute seule, laissant dès de lever du
rideau deviner le drame à venir. Sascha Götzel dirige l’Orchestre Symphonique de Bretagne avec fougue et
finesse, et le Chœur de l’Opéra de Rennes, dirigé comme toujours par Gildas
Pungier, est exquis de précision et de profondeur. Une très belle soirée rennaise, bravo à tous !
No comments:
Post a Comment
Note: Only a member of this blog may post a comment.