Foto Laurent Guizard
Suzanne Daumann
Une des fonctions importantes de l’Opéra de Rennes est de s’intégrer autant
que possible à la vie du département. Chaque année, une production adaptée aux
petites scènes, donc avec un orchestre à effectif réduit, tourne dans les lieux
alentour. C’est Gildas Pungier qui assure la transcription et dirige les
musiciens de l’Orchestre Symphonique de Bretagne. Cette année, on a crée un nouveau
lien en confiant la construction d’une partie des décors de cette production au
Lycée Professionnel Alphonse Petit à Dol de Bretagne. Une classe de jeunes
apprentis menuisiers a ainsi pu participer à la préparation d’une production
d’opéra. Pour commencer 2017 dans la joie et la bonne humeur, quoi de mieux que de
programmer L’Italiana in Algeri de Rossini, turquerie turbulente et burlesque. La mise en scène d’Eric Chevalier, qui assure aussi scénographie, costumes
et lumière, est truffée de bonnes idées et de gags ; elle est très
musicale, avec des mouvements de scène soigneusement chorégraphiés. Il suffit
de penser au trio Lindoro, Taddeo, Mustafa de l’Acte II, qui est devenu un
numéro de danse de revue, avec mouvements de danse à la Michael Jackson, ou au
jeu de chaise musicales exécuté par le chœur, qui se termine en galop sur
chaises, hilarant au possible. Le chœur d’hommes de l’Ensemble Mélisme(s), est
excellent comme toujours. Simplicité oblige, la scénographie consiste en une photo agrandie d’une
ville orientale en arrière-plan et deux grands panneaux blancs sur les côtés de
la scène. Les costumes modernes, habits de ville pour les messieurs, robes et
tenues variées pour les dames, situent la pièce en dehors de la réalité
historique. On trouve des détails amusants aussi dans ces costumes : ainsi
Lindoro esclave soumis à Mustafa porte un grand « M » brodé sur son
polo ; plus tard, quand il aura retrouvé Isabella et décidé de fuir avec
elle, le « M » sera remplacé par un « I ». Ainsi, Ali, le
serviteur de Mustafa Bey, personnage buffo par excellence, porte des pantalons
trop courts, qui le distinguent efficacement de l’élégance de son maître. La simplicité des décors est largement compensée par les belles voix et le
jeu d’acteur des chanteurs, et par le contenu musical en général. La partition
de Rossini n’a rien perdu de sa verve dans la transcription de Gildas Pungier
et la direction d’orchestre de celui-ci est comme toujours pleine de grâce,
détaillée et énergique. L’alto Victoria Yarovaya joue Isabella, cette Italienne à Alger, qui
manipule les hommes comme des marionnettes, et tire les ficelles de l’intrigue.
Sa voix chaude et versatile et sa présence scénique comique, hautaine et
inébranlable, font de sa prestation un régal. Luigi De Donato, dont nous avons déjà pu apprécier à plusieurs reprises ici
même la belle voix de basse, est aussi excellent comédien. Souffrant, il ne
peut donner toute sa voix, mais nous récompense par un jeu de scène et une
présence scénique aussi toniques que comiques. Son macho de Mustafa est tour à
tour grandiloquent, dépité et auto ironique. Sandra Pastrana, soprano, joue le
rôle de son épouse délaissée, Elvira. Tout comme ses collègues, elle maîtrise
le chant rossinien à la perfection. Daniele Zanfardino est un Lindoro des plus
attachants. Aussi à l’aise dans la colorature que dans le jeu scénique, il est
aussi comique qu’élégant. Habillé en frac pour la cérémonie de mariage avec la
femme de Mustafa, sourcils froncés et regard perplexe, on lui trouve un petit
air Stan Laurel fort seyant. Impeccables aussi, tant pour le chant que pour
leur jeu, Philippe-Nicolas Martin dans le rôle de Taddeo, l’autre soupirant
d’Isabella, et les serviteurs Ali et Zulma, respectivement interprétés par
Nikolaj Bukavec, baryton, et Clémence Jeanson, soprano. Bravi tutti, et merci pour cet après-midi de divertissement, qui permet de
commencer avec le sourire une nouvelle année.
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