Le Banquet Celeste |
Foto:Arnaud Chapisau
Suzanne Daumann
Écrit en 1698 sur un livret de Lodovico Forni, cet
oratorio est axé sur le personnage de Marie-Madeleine, considérée comme la pécheresse
ultime, et ses tourments aux pieds du Christ
lorsqu’elle doit décider du cours de sa future vie. Autour d’elle, nous avons
un tourbillon de personnages qui s’adressent à elle ou s’apostrophent entre
eux: L’Amour Terrestre et L’Amour Céleste essaient chacun de la persuader de
suivre leur voie. Marthe abonde dans le sens de L’Amour Céleste, un pharisien
s’étonne de la conversion à la vertu de la fille qui semblait perdue à jamais,
et Jésus Christ en personne se réjouit d’accueillir la brebis égarée dans son
troupeau, rappelant ainsi en passant le principe fondamental de sa doctrine: le
pardon. Les airs et récitatifs s’ensuivent comme un
chapelet de perles de verre de Murano,
chaque intervention une petite merveille de perfection, pleine de vie et
d’émotions. Ce soir à l’Opéra de Rennes, un cast merveilleux
de chanteurs interprète magistralement cette oeuvre: la soprano Emmanuelle De
Negri chante la partie clé de Maddalena avec une voix d’une douceur ample et
charnelle, émouvante et convaincante. Dans un très beau contraste, la Marthe de
Maïlys de Villoutreys est plus cristalline de ton, comme il sied à un
personnage dont la pureté est irréprochable. Damien Guillon, contre-ténor,
chante la partie de l’Amour Céleste tout en dirigeant, et si dans les
récitatifs il peut sembler un peu crispé, il s’abandonne dans ses arias et
laisse fuser toute la lumière de sa voix chaleureuse, rendant ainsi vivace et
crédible l’idée de l’Amour Céleste. La mezzo-soprano Benedetta Mazzucato lui
tient tête en tant qu’Amour Terrestre, un peu pétulante, un peu hardie, et tous
les deux s’affrontent dans un jeu de scène minimaliste et convaincant. Le
Banquet Céleste soutient les chanteurs avec un son doré et chaleureux; les
interventions des solistes sont des merveilles d’attention et de délicatesse.
Le pharisien de Riccardo Novaro est convaincant et presque ridicule de pudeur
offusquée. Le ténor Reinoud van Mechelen, enfin, interprète Jesus Christ avec
une voix chaude et pure, si bien que, qu’on soit chrétien ou non, on perçoit et
comprend la notion selon laquelle Le Seigneur se réjouit davantage d’un pêcheur
repenti que d’un vertueux bigot et mesquin. Il est étonnant de voir comment un sujet aussi
théorique peut prendre vie dans des mains habiles, du librettiste en passant
par le compositeur jusqu’aux interprètes. On sort dans la nuit, l’âme lavée et
apaisée par les doux sons, et la tête pleine de questions. Et s’il en était
ainsi?
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