Foto: Teatro del Maggio Fiorentino
Suzanne Daumann
Il est bon, parfois, de
se rappeler qu’une représentation d’opéra réussie à 100 pour cent relève du
miracle; il est bon, parfois, de mettre en cause ses propres attentes, mȇme si
on assiste pour la première fois à une représentation d’un opéra mythique dans
un théâtre mythique. La nouvelle production
de Carmen du Teatro del Maggio Musicale à Florence a réussi de faire „la une“
un peu partout, en sautant sur le train en marche du mouvement international
qui s’insurge enfin contre la violence faite aux femmes. Cependant, la fumée de
poudre des coups de feu du final, quand Carmen tire sur Don José, cachent le
reste de la production, des jolies choréographies, des bonnes idées pas pensées
jusqu’au bout, et un traitement musical qui laisse dubitatif. Le metteur en scène Leo
Muscato a transféré l’action dans un présent mal défini, où la fabrique de
tabac est remplacé par un campement de gitans, la place où chacun passe se
trouve devant la clôture du camp, et les soldats sont des policiers modernes en
combinaison noire, armés de matraques et armes à feu. Il est certes louable de
vouloir attirer l’attention sur la situation de cette minorité ethnique en
Europe, qui subit encore et toujours la mȇme persécution; le coup de projecteur
la deuxième partie de l’ouverture, qui montre une razzia sur ce camp, est assez
réussi. Par la suite, en revanche, le sujet passe au deuxième plan, et l’on se
retrouve avec les clichés d’érotisme et de liberté hors-la-loi hérités tout
droit du 19ème siècle. Carmen est la fille typique de son temps, une femme qui
veut choisir librement son compagnon, quitte à assumer ses choix jusqu’au bout,
et jusqu’à la mort. Justement, une femme libre, au 19ème siècle, finalement c’est
inimaginable, donc elle doit mourir, tout comme Violetta Valéry, comme Mimi, ou
encore Manon. Outrepasser cette pédagogie de peur et de soumission, c’est
certes un but louable - mais est-ce vraiment lui rendre sa liberté que de faire
de Carmen une meurtrière? Il aurait été plus cohérent de mettre un terme à
l’histoire de Carmen et de Don José dès la fin de l’Acte 2, quand ils y sont en
principe déjà prȇts eux-mȇmes… Bref, on reste perplexe devant tout cela. Bravo cependant pour les
lumières de Alessandro Verazzi, et les costumes de Margherita Baldoni, qui
contribuent grandement à la lisibilité de la mise en scène. Le côté musical aussi a
ses inégalités. Le chef d’orchestre Ryan McAdams dirige avec un drive
irrésistible et beaucoup de finesse, faisant étinceler les détails de la
partition ciselée, et embrasant les danses de Carmen d’érotisme. Dans son
enthousiasme, il a tendance à couvrir par moments les chanteurs qui peinent
déjà un peu à se faire entendre. C’est du côté des dames, et surtout avec la Carmen
de Marina Comparato, qu’on est en bonne compagnie. Elle est sensuelle à
souhait, de voix et de geste, et la Micaëla de Valeria Sepe, soprano agile et
irisée, est une belle contrepartie. Sergio Escobar dans le rôle de Don José est
moins convaincant. Bien que doué d’une belle voix, il manque d’énergie ou de
charisme ou d’expérience, bref, il manque de quelque chose. Burak Bilgili enfin
aurait mieux fait de rester à la maison pour soigner sa voix plutôt que
d’essayer de jouer Escamillo. C’était évident qu’il n’était pas en forme, et on
se demande si c’est pour cette raison que la représentation avait l’air
d’avancer au frein à main serré. Une soirée mitigée,
somme toute, qui nous laisse perplexe, sur tous les plans.
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