Foto: Nantes Opera
Suzanne Daumann
« Ça bruit comme un murmure magique. » Ainsi commente le petit
Nepomuk, le neveu du compositeur Adrian Leverkühn, héros du Dr Faustus de
Thomas Mann, les histoires qu’on lui raconte. Et c’est ainsi que nous pourrions
commenter la splendide représentation de ce Lohengrin en version concert. Dès
l’ouverture, l’Orchestre National des Pays de la Loire, dirigé par Pascal
Rophé, nous transporte dans un pays lointain. Wagner en version de concert, cela pourrait sembler osé, ses opéras étant
un tantinet longuets. Il n’en est rien, au contraire : on comprend mieux
cette histoire archi-romantique, archétypique, quand on n’est pas obligé de se
demander le sens de tel ou tel objet sur scène, ou de tel ou tel choix de
costumes. Ce soir, surtout, l’histoire est narrée de façon magistrale. Pascal Rophé dirige l’ONPL à mains nues, avec une intelligence qui pénètre
et éclaire l’œuvre dans toutes ses dimensions. Il lui instille un souffle
intense et permanent qui fait avancer l’histoire comme ce ruisseau qui bruit
dans un murmure magique. Avec le grand effectif wagnérien et les deux chœurs,
il garde la légèreté. Les tempi sont toujours justes ; il prend ainsi le
duo Ortrud – Telramund de l’Acte II avec une lenteur qui pourrait être lourde,
mais en fait souligne toute la force dramatique de cette scène charnière. La distribution n’est pas en reste : la soprano Juliane Banse est
splendide dans le rôle d’Elsa, rêveuse et éthérée avec sa voix qui reste douce
et élégante dans les aigus les plus forts. Elsa, tout compte fait, est une
adolescente qui rêve du prince charmant, se laisse charmer par le serpent
qu’est Ortrud, et finalement rejette son prince charmant sur le lit nuptial.
Ortrud, en revanche, est une femme, elle est LA femme. Catherine Hunold,
remarquée déjà à Rennes dans ce rôle et que nous sommes heureux de retrouver ce
soir, l’incarne avec brio et dans tous les sens du terme. Avec elle, Ortrud est
une insoumise, une femme qui sait ce qu’elle veut et n’a pas peur d’assumer ses
responsabilités. La mezzo-soprano, à l’instar de son personnage, n’a pas peur
d’aller à la limite. Grande voix généreuse et ample, libre et naturelle, elle
atteint facilement les graves et les aigus de son rôle ; avec son timbre
d’or et de miel, elle sait aussi instiller une goutte de fiel dans les paroles
de la sorcière quand il le faut. C’est grâce à elle que l’on comprend que le
personnage protagoniste numéro un de l’histoire, c’est Ortrud. Elle n’est pas
seulement la sorcière avide de pouvoir, cherchant à tout prix à s’emparer du
duché de Brabant, elle est aussi une païenne qui prie les dieux germaniques et
repousse l’avènement du christianisme, avec son symbole emblématique du Graal…
Son époux, Friedrich von Telramund, n’est que sa marionnette, en fin de compte.
Ici, il est interprété par le baryton anglais Robert Hayward. Timbre grave, jeu
de scène intense – tous les deux nous font imaginer tout un monde autour d’eux. Le ténor allemand Daniel Kirch, remarqué déjà dans Die Tote Stadt ici même,
est Lohengrin. Avec sa voix au timbre chaleureux, avec un peu de métal, il est
un Lohengrin viril et valeureux, un preux chevalier bien comme il faut. La basse élégante Jean Teitgen interprète le roi Heinrich avec dignité et
une diction impeccable. Son héraut enfin est le baryton Philippe-Nicolas
Martin, tout aussi élégant. Soirée wagnérienne envoûtante donc, qui se termine par des applaudissements
à n’en plus finir et bien mérités. Bravi tutti, et merci !
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