© Salzburger Festspiele / Ruth Walz
Suzanne Daumann
Un opéra sur Charlotte Salomon et son œuvre, c’est un peu une mise en
abyme, c’est raconter l’histoire d’une femme qui raconte une histoire. L’équipe
qui a produit cette commande du Festival de Salzburg relève le défi :
Barbara Honigmann signe le livret et Marc-André Dalbavie la musique, à leurs
côtés Luc Bondy, pour la mise en scène et le dramaturge Konrad Kuhn. Charlotte Salomon était une jeune fille juive qui vivait dans la Berlin des
années 20 – 30 dans une famille bourgeoise aisée. En 1939, elle quitte Berlin
pour se réfugier chez ses grands-parents à Villefranche-sur-Mer. C’est ici
qu’elle va créer son œuvre étonnante, le « Singespiel » Leben ? oder Theater ?, une
série de 796 gouaches, dans lesquelles elle dépeint sa vie : le mariage du
père avec Paula Lindberg, célèbre mezzo-soprano, la nouvelle vie sociale
qu’elle apporte à la famille après la mort de la mère de Charlotte. Elle
raconte son voyage avec les grands-parents à Rome, sa décision d’étudier les
beaux-arts, les difficultés croissantes de la famille suite à l’arrivée des
Nazis au pouvoir. Et surtout l’arrivée du nouvel professeur de chant de Paula,
et les complications amoureuses qu’elle entraîne. Dans un épilogue, nous voyons Charlotte arriver chez les grands-parents à
Villefranche-sur-Mer, nous allons assister au suicide de la grand-mère et
apprendre avec Charlotte que sa propre mère s’était en vérité suicidée, tout
comme sa sœur et d’autres membres de la famille. Finalement, nous voyons
Charlotte et son grand-père qui sont internés dans le camp de Gurs. Les gouaches de Charlotte, et c’est là que réside une grande partie de son
intérêt pour l’opéra, sont ponctuées de
rappels musicaux, qui servent à leur tour de point de départ à Marc-André
Dalbavie pour sa composition. Que ce soit un lied de Schubert, un air de Bach
ou de Mendelssohn, une chanson populaire française ou la Habanera de Carmen,
Dalbavie sait tous les intégrer de façon cohérente dans son langage musical.
Fluide, limpide, et finement orchestré, faisant souvent penser à Claude
Debussy, il traduit la pensée de Charlotte Salomon et ses images. La mise en scène de Luc Bondy nous fait rencontrer Charlotte Salomon en la
personne de l’actrice Johanna Wokalek, qui va raconter une partie de
l’histoire, et de la mezzo-soprano française Marianne Crebassa, qui incarne
l’alter ego de Charlotte, nommée Charlotte Kann dans le
« Singespiel ». Souples et sveltes toutes les deux, aux courts
cheveux noirs, habillées d’une courte jupe bleu foncé et un petit pull bleu
clair, elles incarnent parfaitement la vigueur et l’innocence de la jeunesse.
Une voix parlée claire et résonnante aux accents Berlinois, une voix de mezzo
chaude et musicale : voici Charlotte Salomon alias Charlotte Kann. Une
grande mezzo interprète une grande mezzo – Anaïk Morel est Paulinka Bimbam,
alias Paula Lindberg. Le ténor Frédéric Antoun, belle voix claire et souple,
incarne le professeur de chant Amadeus Daberloh. La scénographie de Johannes Schütz consiste en tout et pour tout en une
grande caisse blanche qui couvre toute la largeur de la scène. Quelques
cloisons amovibles forment tour à tour l’appartement berlinois, le salon des
grands-parents à Villefranche-sur-Mer etc. Les murs de fond servent aussi
d’écran à la projection des tableaux de Charlotte Salomon. Ainsi, on entend ses
paroles, dites et chantées, on voit jouer les scènes de sa vie, et on voit ce
qu’elle en a fait. Par la musique qu’elle cite et par la musique de Marc-André
Dalbavie, par le jeu scénique, par son univers musical et coloré, l’on finit
par connaître Charlotte Salomon, une personne, une artiste, unique et
irremplaçable. L’émotion est palpable dans la salle quand un épilogue laconique
nous apprend qu’elle fut assassinée à Auschwitz en octobre 1943. Un moment de silence précède les applaudissements largement mérités.
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