Foto: Jef Rabillon |
Suzanne Daumann
Une nouvelle production racée et élégante à Angers Nantes Opéra
Le Don Giovanni de Mozart, cet opéra des opéras, tellement vu, entendu, mis
en scène qu’on prend pour acquis ses personnages et leurs histoires, peut
encore cacher des surprises. La mise en scène réfléchie et musicale de Patrice Caurier et Moshe Leiser,
où chaque mouvement de scène est synchrone tant à la musique qu’à la vérité
intérieure des personnages, les décors simples et efficaces de Christian
Fenouillat, les costumes évocateurs d’Agostino Cavalca, et les lumières de
Christophe Forey, font vibrer à nouveau ce vieux drame psychologique. La
direction d’orchestre de Mark Shanahan, pleine d’énergie dramatique, tout en finesse
et délicatesse, est un pur bonheur. Les récitatifs, que ce soit secco (saluons
aussi Hélène Peyrat au clavecin) ou accompagnato, sont du théâtre musical comme
il faut, au phrasé impeccable et musical. Ils expriment toute la force
dramatique de leur contenu ; Nikolaus Harnoncourt vient de nous quitter,
et il est réconfortant de voir ici son héritage bien vivant. Une distribution
jeune et motivée se donne à fond. Don Giovanni, souvent un tant soit peu
insaisissable, est ici un jeune homme toujours à la recherche d’une
gratification instantanée pour combler son vide intérieur. Drague, drogue, peu
importe, du moment qu’il y ait du buzz autour de lui. Le jeune baryton John
Chest, qu’on a déjà pu remarquer dans La Ville Morte de Korngold ici-même,
interprète ce Don Giovanni avec fougue. Avec son timbre clair et autoritaire,
il a le charisme et la présence scénique qu’il faut pour rendre crédible ce
caïd, prince de la nuit de son quartier. Celui-ci est représenté par la façade
bleue clair d’un immeuble moderne, avec son entrée, sonnettes, cage d’escalier
et ascenseur, par où se feront la plupart des entrées et sorties. Une porte
cochère donne sur un parking où se déroulera la fête qui clôt l’acte I. Au
début, c’est ici que Leporello fait les cent pas en bougonnant, jusqu’à ce que
Don Giovanni déboule en petit tenue, ses habits sous le bras, et que l’arrivée
de Donna Anna, puis du Commendatore marque le début du drame. Dès ce moment, on
oublie qu’on connaît par cœur cet opéra, l’on suit le déroulement du drame, le
souffle coupé. Ruben Drole, baryton au
timbre chaud de velours noir, incarne Leporello avec sensibilité et douceur.
Les rapports entre lui et Don Giovanni sont d’emblée très physiques et un peu
troubles, et l’on verra que Leporelle aime Don Giovanni d’amour : son air
du catalogue, qu’il adressait au début à Donna Elvira, prend petit à petit des
airs de complainte. Rinat Shaham, mezzo-soprano, incarne Elvira et dans son
grand air de l’acte II s’abandonne au désespoir de son personnage de façon
poignante. Le couple Donna Anna/Don Ottavio, interprété tout à fait
soigneusement par Gabrielle Philiponet et Philippe Talbot, manque un peu
d’éclat à côté, bien qu’ils soient touchants dans leur propre drame : face
au meurtre de son père par Don Giovanni, qui lui plait peut-être pas mal en
secret, Anna a du mal à se décider d’épouser Ottavio. Lors du chœur final – et
l’on ne sait pas si celui-ci vient comme un anti-climax bienfaisant ou
dérangeant après une descente aux enfers absolument fulgurante, où le dernier
cri de Don Giovanni se meut en sanglot – leur futur semble bien compromis. Ce
final se déroule au cimetière : Giovanni qui se fait une piqûre d’héroïne,
le Commandeur remonte de sa tombe, et tout cela prend très logiquement des airs
de mauvais trip, voire d’overdose et, musicalement souligné avec un drive
irrésistible, nous prend bien aux tripes. Bouleversant de vérité sur la
condition humaine, ce Don Giovanni vaut largement le détour. Prochaines représentations : jeudi 10 et samedi 12 mars à Nantes,
Théâtre Graslin, les mercredi 4, vendredi 6 et dimanche 8 mai à Angers, Grand
Théâtre.
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