Suzanne Daumann
Dans cette production sans inspiration et peu inspirante, signé David
Bösch, la belle et noble Nuremberg est une petite ville de province en piteux
état : la scénographie de l’Acte II consiste en des immeubles style années
1970, ringards et ternes, avec leurs antennes paraboles et un automate à
cigarettes. Pour le reste, on se contentera d’un amas d’échafaudages autour
d’une espèce de ring de boxe, qui seront décorés de quelques lumières et
transparents pour l’occasion du concours des Maîtres Chanteurs. Le manque
d’inspiration de cette scénographie réduit l’histoire à sa dramaturgie
basique : un jeune mâle alpha arrive dans la bande ; le vieux mâle alpha
reconnaît instamment ses qualités et le prend sous son aile. Le vieux mâle bêta
ne comprend rien de ce qui se passe et sera ridiculisé comme il faut. Le jeune
mâle alpha épouse la jeune femelle alpha et ils vécurent heureux et eurent
beaucoup d’enfants… Le second sujet, la question éternelle de la corrélation
entre le savoir-faire artisanal et le talent pur dans les arts n’est pas
vraiment abordé. Compte tenu de la scénographie insipide, on peut supposer que
le metteur en scène s’identifie principalement à Walther von Stoltzing, le
nouveau venu insouciant et talentueux. Seulement voilà, Stoltzing est inspiré
par les belles choses que Wagner lui écrivit… La maison de Hans Sachs est un atelier roulant, dans un fourgon ceux des
marchands ambulants de fast-food. C’est mignon, certes, mais l’on se
demande : pourquoi ? Et pourquoi Sachs serait-il un ivrogne ?
Certainement, il est amusant de voir le jeune Stoltzing s’étouffer avec son
café renforcé le matin après la fugue avortée, et tout le jeu autour de la
bouteille et le café est fort divertissant, mais quel en est le sens ?
Sachs est l’incarnation même de l’intégrité et de l’honnêteté ; il a suffisamment de discernement et de
contrôle de soi pour encourager Walther et renoncer à Evchen. C’est lui qui
orchestre le tout, c’est lui le maître artisan par excellence – comment
pourrait-il être alcoolique ? Les Maitres Chanteurs sont tout aussi ternes que leur environnement,
portant des habits gris et marron et caduques depuis longtemps : ils
semblent s’accrocher à un passé lointain, et quand le futur arrive, ils ne le
voient pas d’un bon oeil. Cela au moins est cohérent dans le sens de
l’histoire. Heureusement, Kirill Petrenko et le Bayrische Staatsorchester, ainsi qu’une
distribution magnifique, font scintiller cette production, au moins
musicalement. Avec son énergie habituelle, Petrenko révèle et souligne maintes
beautés dans le détail de la partition. Même eux ne peuvent pas pallier les
longueurs de l’Acte I, et le gag occasionnel de la mise en scène n’y arrive pas
non plus : à une époque où chacun se sent libre de tailler dans le vif
même des opéras de Mozart, l’on se demande si personne ne pourrait nous tailler
un peu cet Acte I. Wolfgang Koch, voix de barytone chaude et puissante, est un merveilleux
Hans Sachs. Il souligne toute la gamme d’émotions de son personnage, et l’on
peut le comprendre et s’identifier à lui. Le barytone Martin Gantner est tout
aussi merveilleux dans le rôle de Sixtus Beckmesser, touchant et ridicule et
exaspérant à la fois. Dans l’habit doré qu’il porte pour le concours de chant,
il est le seul élément scintillant de cette production. Jonas Kaufmann est
Walther von Stoltzing, ce nouveau venu qui se pointe, plein de talent et
irrespectueux, insouciant et un peu naïf. Le concours l’intéresse seulement
comme le moyen de gagner la main de celle dont il possède déjà le cœur.
Kaufmann, qui a la quarantaine bien sonnée, semble faire partie de ces
personnes qui ne croient pas aux années qui passent et dont la jeunesse ne
finit pas : chacun de ses mouvements de scène est imprégné d’énergie juvénile et il est totalement
crédible dans son rôle. Bien sûr, il a la plus belle musique dans cet opéra et
il lui rend justice : avec son timbre particulier, chaud, puissant et
lumineux, avec son pianissimo particulier, chacune de ses interventions est un
délice. Acteur formidable qu’il est aussi, il éblouit et fait rire dans ses
moments de figuration. Sarah Jakubiak, à la voix légère et souple, charmante et
naturelle dans chaque mouvement, est son Evchen. Okka von der Damerau est
Magdalene, espiègle de jeu et de voix. Le jeune ténor Benjamin Bruns est
impressionnant et convaincant dans la partie de l’apprenti David. Le quintette
de l’Acte III, “Selig wie die Sonne”, quand toutes ces voix merveilleuses se
réunissent, est un moment de beauté sereine et sublime. Dommage, Veit Pogner a
si peu d’interventions – on aurait aimé d’avantage Christoph Fischesser et son
barytone élégant. Une soirée divertissante tout compte fait, mais rien qui va nous
accompagner pour plus longtemps que le temps de rentrer à la maison ; pas
de nouvelles idées concernant la vie intérieure des personnages ou leurs
interactions. En un mot : tout cela est bien terne.
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