© Salzburger Festspiele / Ruth Walz
Suzanne Daumann
Il faut saluer le courage de Sven-Eric Bechtolf de mettre en scène de nos
jours un opéra sans violence gratuite, sans nudité, strip-tease, et scènes
explicites, costumes grotesques et tutti quanti. Sa vision des Nozze di Figaro
pour la nouvelle production du Festival de Salzbourg est celle d’une comédie de
salon selon les règles de l’art : des portes qui s’ouvrent, qui claquent,
se ferment ; des personnages qui s’espionnent, se méprennent, se
confondent… C’est léger et amusant, sans être superficiel, avec des
personnages dessinés en profondeur. Le
choix de situer la pièce dans les années 30 reste pourtant incompréhensible, car rien dans la mise en scène
ne parle des événements politiques de l’époque et elle aurait fonctionné aussi
bien au 18ème siècle. Les décors somptueux d’Alex Eales sont pleins de détails adorables qui
donnent l’impression d’une vraie maison habité par de vrais gens. Il faut aussi
citer les magnifiques lumières de Friedrich Rom, et les costumes élégants et
variés de Mark Bouman. La scénographie fait penser à une maison de
poupée : à l’Acte I, l’on voit une coupe à travers la maison, avec au
centre la chambre nuptiale de Susanna et de Figaro, à sa gauche le dressing du
Comte, à leur droite, la salle de bains de la Comtesse, au-dessus, le couloir
et une chambre, et puis l’escalier en arrière-plan. Tout au long de cet Acte I,
des personnages font toute sorte de choses un peu partout, alors qu’elles ne
sont pas en scène normalement. L’idée en est, sans doute, de montrer les
actions secrètes qui initient l’intrigue : Basilio espionne, Figaro écrit
une lettre, la Comtesse se languit… Il est certes amusant de voir le Comte
changer de costume trois fois de suite, de le voir mettre la laisse à son chien
pour une promenade, et c’est encore plus amusant quand on sait que ce chien est
en réalité le propre chien de Luca Pisaroni, qui interprète le comte Almaviva. Cependant,
l’attention du spectateur est détournée de l’action centrale et l’on peut se
demander si ce n’est pas aussi l’attention du chef d’orchestre qui est un peu
détournée, car musicalement, cet Acte I avance un peu cahin-caha, sans trouver
une vraie unité entre chant et orchestre, avec des tempi parfois un tantinet
incertains. Heureusement, à partir de l’Acte II, les multiples scènes
d’ensemble remplacent les actions d’arrière-plan et la direction d’orchestre
s’en retrouve resserrée. Dan Ettinger ne rend pas vraiment justice à cet
orchestre merveilleux que sont les Wiener Symphoniker, une direction souvent
banale, sans apport énergétique. Seulement parfois, lors du finale de l’Acte II
par exemple, avec un accelerando des plus finement dramatiques, et lors de
l’accompagnement de certains airs, l’on peut prendre toute la mesure de ces
musiciens. Bien que le chef accompagne au forte-piano les récitatifs secs,
ceux-ci semblent parfois bâclés. La distribution est excellente jusqu’au bout : Luca Pisaroni est donc
Almaviva. Doué d’une présence scénique et d’une énergie formidable, et d’une
voix qui, pour avoir perdu un peu de son velours juvénile a gagné en puissance
et en feu, il campe un Almaviva profondément humain. C’est un personnage aux émotions
changeantes, entre fureur plus ou moins retenue, élans amoureux vers Susanna,
efforts de retrouver l’affection de sa femme, un peu vaniteux, un peu ridicule.
Pisaroni sait exprimer toutes ces facettes. Il chante l’air de l’Acte III,
Vedrò mentr’io sospiro, avec une rare intensité, son Contessa, perdono est
déchirant de simplicité et dans ces moments, son personnage n’a plus rien de
ridicule. Annett Fritsch lui donne la réplique dans le rôle de la Comtesse
Almaviva. Voix de soprano agile et ample, très émouvante dans son air Dove
sono, elle aussi est convaincante, et l’on souhaiterait à ce couple de
surmonter sa crise. La fin, hélas, ne présage rien de tel. Détail plaisant de
cette mise en scène, le chœur final Questo giorno di tormento, ne s’adresse pas
au public : les protagonistes font la fête entre eux, et la Comtesse
refuse le verre de réconciliation que le Comte lui propose. Dans son duo avec
Susanna, toutes les deux sont merveilleuses de tendresse ironique. Martina
Janková, soprano flûté et doux, est une Susanna comme il faut : espiègle,
intelligente et vivace. Son Figaro est Adam Plachetka. Avec son baryton puissant
et versatile, et sa présence scénique, il est un digne adversaire du Comte de
Luca Pisaroni. Ann Murray est une Marcellina à toute épreuve - son adorable
début d’ébriété au début de l’Acte IV n’est qu’un remplacement insuffisant de
son air Il Capro e la Capretta, coupé une fois de plus, hélas. Tout aussi
expérimenté et impeccable, Carlos Chausson dans le rôle de Bartolo. Parmi les
rôles secondaires il faut citer particulièrement Christina Gansch dans la
partie de Barbarina, et l’Antonio d’Ernest Anstine. Une soirée mozartienne agréable somme toute – applaudissements
amplement mérités.
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