Foto: Teatro Carlo Felice
Suzanne Daumann
Il est toujours
intéressant d’assister à une première mondiale. L’opéra mis au monde ce soir,
cependant, est une oeuvre un peu bâtarde. Basée sur une farce napolitaine de
1880, qui a servi de base à au moins deux films, elle n’est pas vraiment
contemporaine, d’autant que le compositeur Marco Tutino est bien connu pour sa
musique dite néo-romantique, qui utilise le langage tonal des courants
romantiques du passé. Les librettistes Luca
Rossi et Fabio Ceresa ont transféré l’action en 1946, plus précisément le 3
juin, où a eu lieu en Italie un referendum pour déterminer si l’Italie après la
Deuxième Guerre mondiale serait une monarchie ou une république. Ce n’est pas
pour autant que nous assistons à une satire politique ou une oeuvre de quelque
profondeur. Nous assistons au déroulement d’un spectacle plutôt inutile. Les
textes sont d’une banalité que l’on croyait prohibé depuis justement le
sentimentalisme des Nazis; la musique puise allègrement dans le répertoire de
la fin du 19ème et le début du 20ème siècle, exploitant chaque citation jusqu’à
l’épuisement, avec une préférence pour le style de Puccini. Contrairement à ce
qu’ont fait des auteurs tels Stravinsky ou Shostakovich, qui utilisent la
musique du passé comme base de réflexion et créent ainsi quelque chose de
nouveau, Tutino reste dans la banalité de la citation des lieux communs
musicaux. Tout cela est plutôt lourd; on pourrait aussi longuement spéculer sur
les concepts de misère et noblesse, en effet, on voit beaucoup de misère
artistique ici, et très peu de noblesse… L’histoire raconte les
amours d’un jeune couple qui voudrait se marier. Gemma est danseuse, et son
fiancé Eugenio le fils d’un prince plutôt libertin qui poursuit lui-mȇme Gemma
de ses avances. Le père de Gemma, Don Gaëtano, voudrait rencontrer le prince et
l’attend pour dîner. Celui-ci, en revanche, n’accepterait jamais le mariage
entre son fils et une danseuse. Le jeune couple convainc alors l’ancien maître
d’école d’Eugenio, Felice Sciosciammocca, de prendre la place du prince lors du
dîner. Felice est au chômage et élève seul son fils, lui faisant croire que sa
mère est partie en Amérique chercher du travail. En réalité, celle-ci a cédé
aux avances du prince une seule fois, pour le convaincre de faire en sorte que
son mari retrouve son travail. Maintenant, elle est la cuisinière de Don
Gaëtano. Elle rencontre son fils sur la place et le ramène sur son lieu de
travail. Quand le vrai prince et le faux prince se rencontrent dans la maison
de Don Gaëtano, tous les fils se dénouent et renouent, la vérité rejaillit
aussi sur elle et ses motivations, et la famille se trouve réunie. L’acte I se déroule dans un quartier populaire
de Naples, on voit les gens dans leurs maisons, travailler sur des chantiers,
les enfants jouer… Les dégâts de la guerre sont encore visibles, le peuple vit
dans la misère et la faim. Le choeur chante une énumération des spécialités
culinaires désormais inaccessibles. Un couple berce son bébé, un autre couple
arrive, très bien habillé, et, sur une musique dégoulinante de sentimentalité,
emporte l’enfant. Maintenant, nous savons que les auteurs de ce spectacle
reculent devant aucun cliché… Pour l’acte II, nous
sommes dans la maison de Don Gaëtano, où on voit simultanément la cuisine et la
salle à manger. Comme au premier acte, cette scénographie de maison de poupée a
un certain charme, bien qu’elle soit aussi conventionnelle et complaisante que
le spectacle tout entier. L’oeuvre était annoncée
comme un opéra bouffe, cependant, l’élément sentimental l’emporte largement sur
l’élément comique. Les deux gags sauvegardés du texte original sont basés sur
le mȇme ressort et ne font rire que moyennement. Pour qu’une comédie
fonctionne, il faut une dramaturgie
vivace, un tempo rapide. Rien de tout cela ici, chaque scène dure son
temps voire plus… La distribution a du mal
à se faire entendre, face à l’enthousiasme du chef d’orchestre Francesco Cilluffo.
Les jeunes amants, la mezzo-soprano Martina Belli (Gemma) et le ténor Fabrizio
Paesano (Eugenio), sont un peu surmenés dans les passages forte. Valentina
Mastrangelo a une voix de soprano claire et cristalline, cependant, dans les
passages forte, elle est souvent un peu stridente. Les barytons s’en sortent
mieux, Alessandro Luongo dans le rôle de Felice Sciosciammocca est assez
crédible. Alfonso Antoniozzi, basse comique expérimentée, vole la scène grâce à
sa voix et sa présence scénique. Dommage que Don Gaëtano ne soit pas un
personnage plus présent. La basse Andrea Concetti joue le prince Ottavio de
Casador, le père de Gemma, avec finesse et abandon. Le ténor Fabio Pamio est
crédible et mȇme un peu drôle dans le rôle du serviteur ivre. La mezzo-soprano
Francesca Sartorato enfin joue Pepiniello, le fils de Felice, et ânonne ses
répliques bien comme il faut. Une soirée, en somme,
qui prouve une fois de plus que l’opéra en tant que forme d’art est morte et
que les tentatives de résurrection de ce genre reviennent à maquiller un
cadavre pour le faire danser comme une marionnette.
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