Foto: Werner Gura
Suzanne Daumann
Pour moi, la musique de Joseph Haydn est imprégnée d’une bienveillance
ironique dont ces « Scottish Airs » sont un joli exemple. Haydn
arrangea ces airs populaires écossais entre 1800 et 1804 pour l’éditeur George
Thomson, grand amateur de la musique folklorique de son pays. Werner Güra, le
roi du lied, s’est royalement amusé, on dirait. Ce CD, m’a raconté Werner Güra, a mis quelques années à voir le jour,
l’enregistrement a dû être repoussé à plusieurs reprises parce que la
violoniste était tombée enceinte deux fois. Puis il y a eu Julia Schröder,
rencontrée lors d’une Passion de Bach, et un vrai trio s’est formé, avec Roel
Dietjens au violoncelle et Christoph Berner au piano. On l’entend dans chaque
introduction et chaque postlude. Ensemble, ces artistes et le chanteur ont
exploré chaque ligne du texte, pour pouvoir porter la narration. « Ce fut
une joie, » dit-il, « de faire ce CD, de travailler avec un ensemble
qui va vraiment dans le même sens et s’entend bien. » C’est certainement une
joie de l’écouter. Le drive irrésistible des cordes et la tendre légèreté du
piano sont une joie à eux tous seuls, et ce n’est que justice qu’on ait droit à
un trio entier avec ces artistes (Hob. XV : 27). « Ce trio continuera
peut-être à travailler ensemble, » dit encore Werner Güra, « et ce
serait vraiment une bonne chose ! » Presque tous ces airs sont des ballades, héroïques, lugubres, amoureuses ou
franchement comiques. Werner Güra semble maîtriser la prononciation des mots
écossais avec une telle facilité que je lui ai demandé s’il s’est fait coacher
pour cela. « Oh oui, » dit-il, « c’est Charles Johnston, le
collaborateur de Harmonia Mundi, qui a aussi écrit le petit livret. Il a été présent
lors de l’enregistrement pour superviser tout cela, et même lui a parfois eu du
mal. » Une des caractéristiques admirables de ce CD est justement cette
apparente facilité qui repose en réalité sur beaucoup de discipline et de
travail. Werner Güra, accent écossais bien en place donc, raconte ces histoires avec
sa voix chaude et bienveillante : un évangéliste qui, après le drame de la
Passion, descend en ville, pour boire un coup au bistro et s’esbaudir avec les
filles. Dans « Jenny’s Bawbee » une jeune fille, dont les quatre
admirateurs sont en vérité après son argent, le fameux « bawbee »,
s’en débarrasse par des mots et des gestes bien sentis. Les musiciens nous
racontent cette histoire avec une verve irrésistible et le chanteur caractérise
un des personnages en utilisant un falsetto délicieusement hystérique.
« Êtes-vous un peu un clown manqué ? » l’ai-je demandé. Cela l’a
bien fait rire, et il a dit : « Non, pas à ce point-là. La musique
classique contient peu d’éléments franchement comiques, et je les savoure quand
je les rencontre, ayant chanté du Rossini et autres de la même famille
auparavant. » Dans « Sleep’st thou or wak’st thou », le chanteur s’approche sur
la pointe de pieds de sa bien-aimée, pour ensuite nous chanter son amour. « Rattling roaring Willie » chante les louanges de William Pitt
Junior, Premier Ministre de l’époque, la grande époque de la Royal Navy, et
chaque lecteur de Patrick O’Brian entendra ici tout un chœur de marins dans la
seule personne du ténor.nD’autres chansons décrivent des paysages tranquilles, comme « The Lone
Valley », un de mes préférés, ou racontent d’autres histoires, histoires
de vaillants guerriers, comme « Twas at the hour of dark midnight »
(dont l’air appartient à l’origine à l’immortelle ballade de Barbara Allan),
d’une amoureuse revenue pour punir l’amant infidèle dans « William and
Margaret »… Tout ici respire la joie de vivre, et la virtuosité quasiment tangible des
artistes n’est jamais gratuite mais sert simplement et admirablement le
compositeur, ses poètes et tout leur univers. Les belles mélodies, qu’elles
soient tristes ou joyeuses, sont pleines d’entrain et continuent à résonner
longtemps après la fin de ce délicieux CD. Chaudement recommandé !
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