Fotos: Wilfried Hösl
Suzanne Daumann
Mais pourquoi le
Joker a-t-il tiré sur Florestan ? – Fidelio au Staatsoper de Munich, le 5
octobre 2016 Avec Fidelio, son unique opéra, œuvre jamais
totalement abouti, Beethoven nous livre une maquette à finir, une toile à
projections, qui laisse aux metteurs en scène beaucoup de libertés
d’interprétation. Ainsi, Calixto
Bieito, dans cette production de 2010, en fait une réflexion sur la captivité psychologique, qui nous enferme
dans la prison de notre perception. Le triangle Fidelio, Marzelline et Joaquino,
prend donc une toute nouvelle dimension, bien loin d’une anecdote juvénile.
Dans une scénographie sobre et symbolique, un labyrinthe en trois dimensions,
protagonistes et figurants errent,
cherchent, se trouvent et se perdent. La dimension politique ici existe
seulement dans le sens que la condition humaine est politique toujours. Les
textes parlés, toujours un souci dans cette œuvre, ont été remplacé par des
lignes de Jose Luis Borges, poétiques et à propos. Effets de lumière sur le
labyrinthe et un arrière-plan bleu nuit créent une ambiance onirique ; pour nous ôter le dernier doute, Florestan, prisonnier,
porte un pyjama, et lors de sa libération, Leonore lui apporte un deux-pièces
gris, avec chemise blanche et cravate. Il est vrai que le duo final souffre un
peu du fait que les chanteurs sont occupés à se changer en même temps. C’est Anja Kampe qui interprète Leonore, et elle est puissante. Grande
voix de soprano, parfaitement maitrisée, ronde et ample, elle habite son
personnage jusqu’au bout des ongles. La mise en scène philosophique ne facilite
pas toujours la tâche des
chanteurs, cependant elle réussit à emplir
son personnage d’émotions. Günther Groissböck chante Rocco avec élégance et
intelligence, et lui aussi habite totalement son personnage. Le ténor Klaus
Florian Vogt est Florestan. Avec sa grande voix claire et lisse, Heldentenor
léger si cela est possible, il est fort agréable à écouter. Son Florestan n’est
pas tant un héros que tout un chacun, prisonnier somnambule de sa perception. Marzelline,
Hanna-Elisabeth Müller, et Joaquino, Dean Power, sont frais et touchants. John
Lundgren, baryton agile et expressif, campe un Don Pizarro détestable à souhait. Don Fernando, le gouverneur, qui arrive pour
déclarer la libération de Florestan et la fin du régime d’injustice de Don
Pizarro, arrive en costume du Joker et tire sur Florestan, le tuant
temporairement. Simone Young
semble un peu mal à l’aise face au pathos beethovenien, et sa direction
d’orchestre est sans éclat. Le quatuor à cordes en revanche, qui interprète un
extrait du mouvement lent de l’opus 132, est d’une intensité pianissimo qui
fait dresser les cheveux dans la nuque. Une soirée inspirante en somme, qui ouvre les portes vers d’autres univers,
dont on sort avec une seule question : Mais pourquoi le Joker a-t-il tiré
sur Florestan ?
No comments:
Post a Comment
Note: Only a member of this blog may post a comment.