Foto: Marthe Vassallo by Véronique Le Goff
Suzanne Daumann
Alors que le printemps s’installe enfin en Bretagne, l’Orchestre
Symphonique de Bretagne nous fait faire un petit tour en arrière, dans le cadre
de son projet Taliesin. Au programme ce soir : Schubert meets Breizh. Après deux œuvres originales, Vent de l’Ouest par Alexandre
Damnianovitch, et La Complainte du Vent d’Ouest de Frédérique Lory, dont
nous assistons à la création ce soir, chantées par Marthe Vassalo, et
accompagnées par l’Orchestre Symphonique de Bretagne sous la baguette d’Ariane
Matiakh, la soirée est consacrée à une rencontre des plus inhabituelles. Le Winterreise,
version Zender, fera ce soir écho à des chants traditionnels bretons. Pour
avoir écrit une variation littéraire sur le Winterreise de Schubert, et
pour avoir fait des recherches en vue d’une adaptation en court-métrage,
j’avais déjà trouvé des liens entre Schubert et la Bretagne : Louis-Albert
Bourgeault-Ducoudray, compositeur breton et un des premiers collecteurs de
musiques bretonnes, est aussi l’auteur d’un livre sur Schubert. Les paysages
bretons, les bourgs sombres en hiver, ils pourraient facilement abriter un
Doppelgänger ; sans parler du thème de l’errance, si cher à Schubert
– la Bretagne n’est elle pas aussi une terre de départ ? C’est
donc avec beaucoup de curiosité que je j’arrive à l’Opéra de Rennes ce soir. Il
me semble qu’il va falloir une équipe extraordinaire pour que cette alchimie
extraordinaire s’opère. Pari tenu : Frédérique Lory et Marthe Vassallo on fait un choix très
judicieux dans les gwerzioù et sonioù, et les orchestrations de Frédérique Lory
sont vraiment remarquables. En parfaite harmonie avec celles de Hans Zender sur le
Winterreise, elles bâtissent ainsi un des nombreux ponts entre ces deux genres
musicaux. Nulle
trace de cross-over facile ici : les morceaux de Schubert sonnent
résolument schubertien, et les complaintes bretonnes restent bien ancrées dans
leur terre. Ariane
Mathiak dirige les musiciens de l’Orchestre Symphonique de Bretagne avec fougue
au cours de la première partie ; ensuite elle tient le suspens de
l’orchestration filigrane de Hans Zender, attentive à ses maints détails. Marthe
Vassalo, grande dame du chant breton, grande voix ample, souple, généreuse,
incarne une à une les héroïnes des complaintes – femmes ou jeunes filles
malheureuses en amour, délaissées par un amant, contraintes d’épouser un homme
riche et point aimé… – et on les plaint et on les comprend sans parler le
moindre mot de breton. Le
ténor Marcel Beekman assure la partie Schubertienne de la soirée. Avec une voix
pure et claire, une diction parfaite, et un brin d’ironie, il interprète les
lieder avec une sobriété presque glaçante, qui sied très bien à la partition de
Zender. Des petits extraits des textes lus en français, tantôt par lui,
tantôt par elle, reprenant souvent l’un la partie de l’autre, constituent un
autre pont entre les mondes. Ainsi émerge, petit à petit, l’image d’un couple déchiré qui
entame ce Voyage en Hiver, et pour la première fois, elle, la fille, la fiancée
infidèle de Wilhelm Müller, a voix au chapitre. Ainsi émerge une œuvre nouvelle, originale, émouvante.
Lorsque la dernière ligne du dernier lied, Der Leiermann, est dite, lorsque
l’orchestre s’est presque tu, quelques cordes pianissimo ferment la marche, alors
Marthe Vassalo reprend la dernière ligne de son dernier chant, et Marcel
Beekman la rejoint avec une reprise du dernier vers du Leiermann – et tout est
dit et la boucle est bouclée. Bravi tutti, et merci pour une soirée
extraordinaire !
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