©Laurent Guizard
Suzanne Daumann
C’est dans la joie et la bonne humeur que se termine la saison 2015/2016 de
l’Opéra de Rennes : La Finta Giardiniera, œuvre de jeunesse de Mozart, est
une comédie légère qui ne prend rien au sérieux, surtout pas elle-même. Enfin,
presque… Ce n’est pas encore le compositeur du Don Giovanni, mais c’est
certainement déjà Mozart. Tout y est, les scènes d’ensemble, l’instrumentation
aux dimensions multiples avec ce maniement merveilleux des vents ; il y a
une espèce de proto-Cherubino, et le sens du théâtre et de la dramaturgie qui
nous donnera plus tard les chefs d’œuvre tant aimés. Le livret, quelque peu
invraisemblable, repose sur l’hypothèse qu’une femme puisse continuer à aimer
un homme qui a essayé de la tuer. Cette femme, Violanta, se réfugie sur le domaine du podestat Don Anchise,
accompagnée de son serviteur fidèle, Roberto, qui prendra le pseudonyme de
Nardo. Violanta s’appelle désormais Sandrina et a rejoint les rangs des
jardiniers du podestat. Or, celui-ci est amoureux d’elle et veut l’épouser. Une
autre jolie jardinière, Serpetta, veut quant à elle épouser le podestat, mais
Nardo la poursuit de son côté. Un dénommé Don Ramiro traîne aussi dans les
parages et tombe amoureux de la nièce du podestat qui doit cependant épouser le
comte Belfiore, qui est nul autre que l’homme qui a failli tuer
Violanta/Sandrina. Déclarations, quiproquos, apparitions, découvertes – tout le
matériel de la comédie est au rendez-vous. Cependant, Mozart ne serait pas
Mozart si la musique ne livrait pas un aperçu du côté obscur de tout cela.
Antony Hermus et l’Orchestre Symphonique de Bretagne mettent en lumière maint
détail et font avancer l’intrigue avec entrain, dans le respect des chanteurs.
La mise en scène de David Lescot traite les faiblesses du livret avec
indulgence et ironie, et fait la part belle à la musique. Chaque mouvement de
scène découle ainsi d’un mouvement musical. La distribution, excellente autant
pour le chant que pour le jeu d’acteurs, n’est pas en reste. Habillés en
différentes nuances et styles de blanc, ils évoluent dans un décor minimaliste
et mouvementé : devant un panneau gris d’arrière-plan, deux jolis
jardiniers font des allers-retours et échangent arbres en bacs contre fleurs en
pot. Tous tiennent impeccablement sur la corde raide entre désinvolture et
implication dans leur personnage et l’on sent la jubilation avec laquelle, par
exemple, la soprano Marie-Adeline Henry dans le rôle de la violente Armida
décapite tournesol après tournesol tout en chantant remarquablement un air de
colère. Remarquable aussi Sofia Michedlishvili dans le rôle de
Sandrina/Violanta : soprano à la voix douce, claire et cristalline, elle
est l’innocence incarnée dans une petite robe de campagne et des bottes de
caoutchouc jaunes. Sa cavatine « Geme la tortorella » avec ses douces
coloratures va droit au cœur, pour ne citer que ce moment. Son Belfiore est
incarné par le ténor Carlos Natale. Vocalement et physiquement agile, il joue
la double comédie : ses déclarations face à Arminda sont sirupeuses et
ironiques à souhait, seul face à Sandrina, il devient sincère. La soprano Maria
Savastano est Serpetta, cette jardinière qui déclare sans vergogne qu’elle veut
épouser le podestat. Elle aussi s’en donne à cœur joie, ravit et amuse. Don
Anchise est joué par le ténor Gregory Bonfatti avec un brin d’auto-ironie,
débonnaire et dépassé. Marc Scoffoni, baryton, campe un Nardo infatigable,
convaincant et la mezzo-soprano Marie-Claude Chappuis, à la voix chaude et
ample, est merveilleuse dans le rôle travesti de Don Ramiro. Tous dansent,
chantent, courent, toujours mus par la musique et l’on s’amuse ferme quand des
sécateurs de jardin deviennent des guitares électriques, ou des raquettes de
badminton des microphones. C’est vers la dernière partie que l’ambiance
change : le panneau d’arrière-plan s’abat soudainement sur la scène, se
déplie et révèle une forêt nocturne, avec un ciel bleu foncé, lune et étoiles,
un vrai décor de rêve. Face à la nature,
leur nature, face à des forces incontrôlables, les personnages deviennent des
personnes, dans le noir des couples se forment, font fausse route – à l’arrivée
de la lumière, tous se rendent compte qu’ils se sont trompés de partenaire. On
rectifie le tir et Violanta est réunie avec Belfiore, Serpetta se décide enfin
à épouser Nardo, et quant à Don Ramiro et Arminda, ils se sont déjà mariés, ni
vu ni connu. Seul le podestat Don Anchise reste seul et accepte cela de bonne
grâce. Tout cela est mozartien au plus haut degré, léger, amusant, tout en vérités
sur la nature humaine. Les applaudissements chaleureux sont amplement mérités,
et l’on quitte l’Opéra de Rennes, ravi une fois de plus de savoir que le public
de « province » a accès à de si merveilleux spectacles.
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