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Catherine Hunold (soprano) |
Suzanne Daumann
J’ai pu rencontrer Catherine Hunold le lendemain de
la Première de Lohengrin à Nantes pour une discussion autour d’un café au Lieu
Unique.
SD : Merci, tout d’abord, pour votre
temps !
CH : C’est un plaisir, j’aime les rencontres,
communiquer...
SD : En effet, il a été facile de vous
contacter via Facebook. J’ai l’impression que votre génération de chanteurs,
grâce aux nouveaux médias, est très ouverte et accessible ?
CH : Oui, nous sommes beaucoup à ne plus avoir
envie de rester enfermés dans le cliché du chanteur d’opéra. En fait, les divas
d’aujourd’hui, ce sont plus les metteurs en scène. Ce sont eux qui ont une
sorte de pouvoir dans les maisons
d’opéra. Et ce sont eux aussi qui s’attirent les foudres ou l’adoration des
critiques.
SD : Ce qui nous pose tout de suite la question
des critères de casting… On a souvent l’impression que des chanteurs sont
engagés plus pour leur physique que pour leur voix.
CH : Oui, et curieusement ce sont aujourd’hui
plus nos collègues hommes qui sont concernés. Ils devraient tous avoir un
physique de stars d’Hollywood bodybuildés…
SD : Ces metteurs en scène demandent souvent
aux chanteurs aussi de faire des actions assez difficiles, voire absurdes, tout
en chantant.
CH : Personnellement, je peux accepter pas mal
de choses, si toutefois on m’en a bien expliqué le sens. Et si ce n’est pas le
cas, j’essaie d’y trouver un sens par moi-même. Rires
SD : Comment avez-vous décidé de devenir
chanteuse ?
CH : Je chantais avant de parler. Mais comme je
ne viens pas d’une famille de musiciens, ce n’était pas gagné d’avance. À l’âge
de 10 ans, j’ai intégré la Maîtrise de Radio France. Par contre, il n’y avait
pas de cours de chant du tout et là, ma mère a eu l’intelligence de me sortir
de là, car nous étions très sollicités vocalement ce qui n'est pas bon pour une
très jeune voix. Ensuite, j’ai intégré une autre Maîtrise
puis pris mes premiers cours de chant. Mais après aussi, j'ai dû me
battre, toutes les portes ne se sont pas ouvertes d’elles-mêmes, je me bats
toujours d'ailleurs…
SD : Il y a beaucoup de concurrence, venue
notamment des pays de l’Est… ?
CH : Il semblerait, oui…
SD : Revenons à Ortrud. Vous devez l’aimer pour
l’habiter si totalement ? Elle est pourtant la méchante dans l’histoire.
CH : Oui, mais elle est tellement forte,
tellement femme, elle est LA femme en quelque sorte. La femme qui fait peur aux
hommes, la magicienne – c’est cela qui me plait chez elle. Et puis sa musique est incroyablement belle
aussi !
SD : L’allemand ne semble pas vous poser de
problème ?
CH : Je ne le parle pas aussi bien que je
voudrais et comme je parle par exemple l’italien. Je vis dans le sud de la
France, près de la frontière italienne, et comme je suis très italophile, je
m’y trouve très bien. C’est fascinant la différence entre les cultures
musicales suivant les langues. Dans répertoire allemand, tout vient du texte.
Pour l’italien par contre, tout est dans la ligne vocale, et pour le français,
dans la couleur. Du coup, j’essaye d’intégrer ce goût français pour la
coloration du texte dans mes interprétations wagnériennes tout en essayant de
garder une ligne de chant à l'italienne comme le voulait Wagner.
SD : Ce Lohengrin en version de concert,
comment cela s’est-il passé pour vous ?
CH : Le travail avec Pascal Rophé a été
merveilleux. Il a su nous mettre en confiance, et sa façon de diriger
l’orchestre, toute cette subtilité. Il en a fait quelque chose de vraiment
extraordinaire, d’autant plus que c’était son premier Lohengrin !
Jean-Paul Davois, le directeur d’Anges Nantes Opéra, est venu à toutes les
répétitions et mes collègues sont formidables. Donc, cela a donné une
ambiance de famille, d'équipe où il est très plaisant de travailler.
SD : Justement, j’aime de plus en plus couvrir
des événements dans les maisons de ce qu’on appelle province. J’y trouve
beaucoup plus d’enthousiasme que par exemple à Paris.
CH : Oui, je suis bien d’accord. En province,
justement, tout le monde participe à une production, avec les autres artistes
sur scène se créent des liens, l’équipe artistique nous connaît tous, les
directeurs sont souvent très présents. Et cela se ressent dans le travail
musical, bien sur.
SD : Un autre sujet que les petites maisons
prennent très au sérieux, c’est la démocratisation de l’opéra…
CH : Je ne sais pas très bien ce que cela veut
dire, « démocratisation »…
SD : À Rennes, ville d’étudiants, il y a par
exemple des panneaux qui invitent les gens de « Venir comme ils
sont ». L’idée est sans doute de désacraliser un peu la musique classique,
alléger un peu tous ces codes qui effraient les gens…
CH : Oui, je conçois cela. Mais, aller à
l’opéra, c’est aussi un moment hors du commun, un moment festif, et la
préparation, devrait en faire partie en quelque sorte. Inviter les gens de
venir en jeans et pull-over, c’est plus de la banalisation à mon avis.
SD : Démocratisation ou banalisation, c’est un
long débat sémantique ; je ne crois pas que nous aurons le temps de
résoudre la question ce matin.
Rires
CH : L’opéra est de nos jours une occasion de
vivre un moment hors du temps, vrai et vibrant d’émotions !
SD : Je me suis aperçue récemment que cela est
un peu vrai aussi pour un match de football…
CH : Rit Il y a de ça, mais quand on est tous
là, chef, orchestre, chœur et solistes, à suivre une même partition, il en
résulte quelque chose d’absolument unique, on est tous connectés, et le public
avec nous, à la même source d’énergie.
SD : Effectivement, il y a une
différence ! – Quels sont les prochains projets maintenant,
Catherine ?
CH : Tout d’abord, Ortrud en Corée du
Sud !
SD : Toujours aussi contente de la
chanter ?
CH : Oh oui ! Je suis en processus de
création permanente. Mon interprétation n’est jamais figée, ainsi je peux
m’adapter à tout moment à un changement dans l’orchestre. En fait, tiens, je
suis en train de m’en rendre compte en ce moment, à force de discuter, c’est
cette liberté qui me plait tant quand je suis sur scène et qui me permet de me
couler vraiment dans la peau de mon personnage.
SD : Et c’est cela alors qui fait de vous une
chanteuse tellement captivante !
CH : Merci !
SD : Et merci à vous pour votre temps !